L E O F A N Z I N E O Q U I O M E T O L A O C U L T U R E O E N O S A C H E T S

1.3.12

Chant des sirènes

Julia Holter
Ekstasis

La plupart des gens ne font rien de fascinant dans leurs chambres. Ils y dorment, défont les draps, ou passent des heures devant leur ordinateur à perdre leur temps. Et il n'y a pas forcément à culpabiliser de cela. Sauf peut être quand on remarque que des personnes peuvent, elles, travailler et sortir de très belles choses par la porte de leur chambre. Comme Julia Holter, qui, depuis son appartement de Los Angeles, compose et enregistre en qualité et en quantité impressionnantes une musique qu'elle a mûrement réfléchit au fil du temps, du haut de ses 27 printemps.

En ce début du mois de mars sort Ekstasis, le second album de Julia Holter, qui suit de seulement cinq mois son prédécesseur. Tragedy était un beau projet qui nous révélait la jeune femme et son talent, notamment grace à l'impressionnant "Try To Make Yourself A Work Of Art". Mais malheureusement, Julia Holter finissait par perdre l'auditeur avec ses expérimentations parfois trop poussées, même pour les personnes très ouvertes. Ekstasis est le disque qui pourra confirmer aux uns le potentiel d'Holter, et séduire les autres. Car cet album est beaucoup plus abordable que le premier.

Dès le début on remarque un changement important. Cette fois-ci pas de longue Introduction sombre et effrayante avec un mélange de bruits de vent et de sons ressemblant à des plaintes d'animaux, non.  A la place, il y a "Marienbad" et ses chants a capella  avec une voix aigüe rassurante et mignonne, presque naïve, avec ça et là quelques arrangements musicaux classiques. On n'a plus en tête l'image d'une forêt hantée, mais plutôt d'un jardin ensoleillé avec de belles fontaines (bon il va falloir arrêter les comparaisons sérieusement). Mais Julia Holter reste ce qu'elle est, une artiste qui expérimente. Alors soudain, le ton change brusquement, le ciel est plus menaçant et s'assombrit de seconde en seconde, on ne reconnait plus la chanson. Et puis à peine une minute après, le morceau, décidément schizophrène,  reprend ses atours de musique de chambre légère et lumineuse. Cet incipit représente bien l'ensemble d'Ekstasis et la construction complexe de chacun des morceaux. Confirmation juste après avec "Our Sorrows", un titre plus triste, où la Californienne utilise une technique de chant qui rappelle beaucoup les musiques d'Asie, tandis qu'une  batterie martiale se fait de plus en plus présente pour finalement s'évaporer à nouveau.
"Marienbad"



 "In The Same Room" est le bijou de l'album. C'est sûrement le seul morceau à l'allure de tube pop que Julia Holter ait écrit. Le début est tout simplement magnifique, avec ses choeurs (toujours aux sonorités asiatiques) et ses superpositions de voix. Un chant des sirènes qui aurait été un sans faute si le morceau ne perdait pas autant en intensité sur la fin (dommage). Et le clip, où l'on voit la mystérieuse brune aux longs cheveux et au visage angélique dans la nature, colle parfaitement à la chanson.


Par la suite, il y a des moments où l'on s'égare plus facilement, mais sans se perdre cette fois (contrairement à Tragedy), juste en vaquant à ses occupations tranquillement avec en bande son les jolies mélodies instrumentales de l'artiste où sa voix s'invite par brefs épisodes, "Für Felix" et "Moni Mon Amie" font partie de ces réussites. On retrouve aussi deux nouvelles versions de "Goddess Eyes", qui nous avait fait déjà de l'oeil sur Tragedy. Ici le beat est beaucoup plus prononcé et la voix plus claire, une foule d'arrangements plus tard et on reconnait à peine le morceau par moments. Enfin, "This Is Ekstasis", plusieurs morceaux en un seul (encore), clôt admirablement l'album, même si parfois on entend des instruments qui font un peu trop musique traditionnelle irlandaise et même si on n'a pas tout compris au concept philosophique de l'ekstasis.

Ekstasis est un très beau disque, nettement plus abordable que Tragedy sans pour autant perdre  l'originalité qui fait de Julia Holter une artiste d'exception. Et puisqu'une nouvelle n'arrive jamais seule, alors qu'elle sort tout juste son deuxième album, la jeune femme, qui adore enregistrer (dans sa chambre), pense déjà au troisième LP, qui pourrait s'appeler Gigi.