L E O F A N Z I N E O Q U I O M E T O L A O C U L T U R E O E N O S A C H E T S

19.8.13

[GUEST 10] Pop-rock en Yougoslavie

[GUEST 10 : Edina]



Le reste de l’Europe voit souvent l’ex-Yougoslavie – et les Balkans en général – comme une terre austère et hostile peuplée de tribus barbares qui se détestent, qui écoutent de la musique tzigane toute la journée en buvant de l’alcool fort et qui fournissent les prostituées et la coke aux grands de l’Union Européenne. 

Pourtant, pendant plus de 3 décennies, celle qui fut la république de Yougoslavie constituait un véritable berceau artistique, et tout particulièrement musical, méconnu de l’Occident et qui vaut la peine d’être exploré. En voici un (tout) petit aperçu :


Considérée souvent à tort comme un ancien Etat du bloc soviétique, la Yougoslavie (1942-1991) était un Etat fédéré communiste. Plus grand que le Royaume-Uni, sur le même méridien que le nord de l’Italie et le sud de la France, cet état a éclaté en 1991, donnant naissance à la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie, la Macédoine et le Kosovo.

La Yougoslavie était dirigée par Josip Broz Tito, maréchal, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Militant communiste, celui-ci avait combattu les nazis, les oustachis (nationalistes) et les tchetniks (autres nationalistes) avec son armée de partisans, composée d’hommes ET de femmes qui n’étaient ni préparés ni vraiment super bien équipés. Et tout cela sans aucune aide extérieure, ni celle de l’armée rouge de Staline ni celle des Alliés. 

Jusqu’à sa mort en 1980, Tito restera dirigeant d’un pays plutôt prospère grâce à l’industrie tertiaire et au tourisme. Et même les américains trouvaient la Yougoslavie plutôt cool pour un pays socialiste.

Contrairement à d’autres dirigeants de l’époque, Tito n’était pas réticent à l’art. Il jouait lui-même du piano – qu’il avait appris lorsqu’il était apprenti mécanicien à Vienne – et aimait beaucoup le cinéma – et les films de guerre. C’est pour cela que dès le milieu des années 1950, les jeunes yougoslaves ont pu s’exprimer – plus ou moins – librement dans toutes les disciplines et tout particulièrement dans la musique. 

La richesse de la musique et de l’art en Yougoslavie en 3 décennies



Les années 60 : 
Indexi - Naše doba (1967) - Jednom smo se svadali

Après la deuxième guerre mondiale, la Yougoslavie se reconstruit comme les autres pays d’Europe.
Musicalement parlant, dans les années 1950 apparaissent les crooners yougoslaves. Ceux-ci se contentaient de traduire ou réinterpréter les tubes anglais, américains, français et italiens de l’époque (comme Đorđe Marjanović qui a interprété Nathalie de Gilbert Bécaud).
Avec l’arrivée des Beatles, les formations musicales se multiplient sur tout le territoire et jouent surtout des covers de groupes anglais et américains. 
En 1964, les légendaires Indexi (les indexes littéralement) de Sarajevo sortent leur premier disque, totalement instrumental, « SedamVelicanstvenih » (les 7 mercenaires) qui deviendra le premier disque rock’n’roll entièrement original et qui obtient énormément de succès. Ils s’inspirent des Beatles, des Beach Boys et des Tornadoes. 
En 1967, pour leur disque suivant, « Naše doba » (notre époque), ils ajoutent la voix de Davorin Popovic en s’inspirant de Yes, Procol Harum ou encre les Grateful Deads. 
D’autres groupes suivront sur tout le territoire comme Grupa 220 (littéralement « Groupe 220 ») à Zagreb ou les très mods Siluete à Belgrade. 
C’est aussi dans les années 60 que d’autres projets artistiques vont se concrétiser : en 1959, le collectif antiartistique Gorgona se forme à Zagreb et expose ses œuvres avant-gardistes et futuristes. Le collectif enclenchera la diffusion d’un art moderne et inédit dans toute la Yougoslavie.
L’architecture aussi prend un pas en avant. Tito décide d’ériger des monuments de commémoration de la Seconde Guerre Mondiale. Une seule consigne pour les sculpteurs (parmi eux Dusan Dzamonja, Vojin Bakic ou Miodrag Zivkovic) en charge du projet Spomenik (littéralement « Monuments ») : il faut qu’ils soient imposants. 
Si vous allez en ex-Yougoslavie, vous pourrez voir, peut-être plus tout à fait en état, ces monuments aux formes rondes de plusieurs dizaines de mètres, reliques d’une époque révolue.

Les années 70 :
Bijelo Dugme – Sta bi dao da si na mom mjestu (1975) - Sta bi dao da si na mom mjestu

Dans les années 60, quelque part en Italie, un jeune yougoslave joue de la basse dans un club de strip tease. Il s’appelle Goran Bregovic. Il est fan de Led Zeppelin, découvre T-Rex, s’achète une paire de bottes compensées et retourne à Sarajevo en 1969 où il crée son propre groupe de rock, Jutro (Matin) qui deviendra Bijelo Dugme (Bouton Blanc). 
Pendant plusieurs décennie, le groupe passera par des genres totalement différents (glam, alternatif, new wave, punk, …) et changera trois fois de chanteur mais restera le groupe le plus populaire de Yougoslavie jusqu’à son éclatement. 
Après la guerre, Bijelo Dugme s’est éteint : Goran Bregovic est devenu compositeur de film et recycle ses vieux tubes avec Bijelo Dugme à la sauce tzigane mainstream (oui : comparez ça et ça) et les autres sont des papis qui ont fait leur bout de chemin seuls sur la scène ex-Yougoslave.
Le groupe s’est reformé pour une série de concert au début des années 2000 pour le plus grand plaisir des fans de l’époque et d’aujourd’hui.
Bien sûr, ils ne seront pas les seuls à faire parler d’eux et à devenir très vite populaire. 
C’est aussi l’arrivé du hard-rock avec des groupes comme Atomsko Skloniste (littéralement Abris Atomiques) de Zagreb, véritables précurseurs du mouvement. 

Les années 80 :
Buldozer – Ako Ste Slobodni Veceras (1982) - Novo Vrijeme

Tito meurt en 1980. La Yougoslavie pleure mais ne se lamente pas. 
C’est à cette période de changement que naquit la Nouvelle Vague Yougoslave (Novi Val/Novi Talas). 
A Ljubljana, Pankrti (les bâtards en slovène), après avoir découvert les Sex Pistols et les Buzzcocks, devient LE groupe punk qui concrétisera le mouvement. Ils sont souvent accompagnés de Buldozer (Bulldozer) , rare groupe qui a réussi sa transition de l’alternatif vers le punk. 
C’est aussi à Ljubljana que le magazine artistique et culturel Polet (Envol) est crée. Malgré la censure de l’Etat pour la nudité et les propos antiétatiques qu’il fait parfois transparaître, il sera une réelle source d’inspiration pour toute la jeunesse Yougoslave jusque dans les années 90.
Après le passage des Pankrti à Zagreb, Branimir Johnny Stulic, le leader du groupe que deviendra Azra, se rase la barbe et se coupe les cheveux (comme le suggèrent les paroles de leur chanson Balkan). Inspirés par les slovènes et les groupes Punk britanniques tel que the Jam, Azra tout comme Prljavo Kazaliste (littéralement Théâtre Sale) ou Film pousseront, à leur tour, les légendaires Bijelo Dugme à raser leurs barbes et à se lancer eux aussi dans la Nouvelle Vague. 
A Belgrade, les musiciens sont, plus qu’ailleurs, inspirés par le Krautrock et du Post Punk. Des groupes tels qu’Elektricni Orgazam (Orgasme Electrique), Sarlo Akrobata (les Charlots Acrobates), Idoli (les Idoles), Profili Profili (Profiles Profiles) ou Partibrejkers (Party Breakers) créent une véritable marée dans la capitale de la Yougoslavie. Ils sortiront la compilation Paket Aranzman en 1981 qui est une véritable empreinte de ce mouvement et de cette époque. 
A Sarajevo, le punk ne fonctionne pas vraiment mais l’influence du Post Punk donnera naissance à des perles comme SCH, groupe encore en activité. 
On voit aussi arriver ce qui s’appellera Novi Primitivizam (Néo-Primitivisme). Ce mouvement musical et artistique se détache complétement de l’excentricité et la complexité du punk slovène, croate ou serbe. Les neo-primitivistes s’inspirent de situations de la vie quotidienne et de la musique populaire locale et étrangère (comme les Who et les Stones) pour écrire des chansons ou des sketchs qui parle à la jeunesse yougoslave, toujours avec humour. Les groupes et artistes les plus connus restent Crvena Jabuka, Zabranjeno Pusenje ou Plavi Orkestar.
Emir Kusturica, le réalisateur primé, fréquente ce mouvement ce qui transparaît dans ses premiers films comme « Te souviens-tu de Dolly Bell ? » .
Aujourd’hui, complexe et riche, la Nouvelle Vague Yougoslave passionne et fait encore parler d’elle. Les groupes sont pour la plupart dissous mais restent encore très écoutés par la jeunesse des pays d’ex-Yougoslavie. 
En 1991, c’est la fin de la scène artistique yougoslave : la Yougoslavie éclate. Et sa fin est tragique et sanglante. 

Aujourd’hui, la situation dans les pays ex-Yougoslaves s’améliore un peu (même s’il reste toujours des problèmes sérieux dû au nationalisme omniprésent et à la pauvreté).
On voit même apparaître la relève de ces 3 décennies hyper-créatives. Avec des groupes tels que DubiozaKolektiv de Sarajevo (prenez Rage Against the Machine, Fun-Da-Mental, Damian Marley et ajoutez-y un peu de musique folklorique) ou S.A.R.S. de Belgrade (groupe alternatif, entre hip-hop, jazz et musique folklorique), vous allez entendre parler des pays ex-yougoslaves pour autre chose que la guerre, l’Eurovision, les prostituée et le football.

Disclaimer : ceci est un très court résumé de toute l’histoire musicale et artistique de la Yougoslavie. Il y a des milliers de choses à dire encore.

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Edina, 24 ans, quasi-diplômée en marketing digital, bosnienne/bosniaque, franc-comtoise d’adoption. J’aime le mot asphalte, le café, internet, la Motown et Robert De Niro.