GRIMES
VISIONS
Quelque part dans un appartement à Montréal, au détour d'une rue, une jeune femme de 23 ans répondant au nom de Grimes fait la musique comme cela lui chante en se moquant bien des conventions. Elle s'appelle Claire Boucher, a quitté son Vancouver natal en 2006 et depuis, elle promène son visage de petite fille tantôt charmante tantôt méchante et ses coupes de cheveux improbables sur la côte est et les salles les plus arty du coin.
On ne sait au final pas grand chose du personnage qui a une identité visuelle assez forte (comprendre bizarre, si vous préférez), si ce n'est que c'est une artiste prolifique. En 2010, elle sort son premier album, Geidi Primes, sur une cassette restée confidentielle jusqu'à ce qu'une réédition en CD soit faite plus tard. Mais déjà, des personnes flairent le talent et saluent la pop céleste et atypique de Claire Boucher. Un deuxième disque sort la même année, il s'intitule Halfaxa et est sensiblement plus sombre et étrange. Décrire le son de Grimes relève du casse tête chinois, des critiques fainéants ont parlé de "witch house" pour insister sur le côté anormal, parfois même inquiétant de sa musique. Et si on peut assimiler certains de ses morceaux à quelque chose de magique, il est réducteur de n'employer que ce terme. Nous avons affaire à de la pop, il y a même de jolies balades au piano, ou alors des fois l'atmosphère change totalement et l'on retrouve des sonorités asiatiques entrecoupées de parties beaucoup plus électroniques. De fait, c'est l'intéressée elle-même qui réussit le mieux à donner un mot à sa musique : "post-internet", un terme inventé mais qui colle parfaitement à la réalité. En effet, par "post-internet", Claire Boucher explique que ses productions si variées et inaccoutumées sont dues au fait qu'elle a eu accès à une très grande variété de genre musicaux grâce à ce média. Mieux : elle en a fait une synthèse toute personnelle.
L'année dernière, Grimes a sorti un split EP (Darkroom) avec d'Eon, un Montréalais malheureusement nettement moins talentueux que son acolyte. De cette aventure est né "Vanessa", le single le plus tubesque que la jeunette ait jamais écrit.
Ce morceau archi-entêtant aura même valu à Grimes d'être reconnue comme l'artiste la plus cool de 2011 selon le blog/bible de l'indie GorillaVsBear, rien que ça.
A peine deux ans après ses premières sorties, où en est Claire Boucher ? Elle ne s'est toujours pas résignée à faire dans le conventionnel, et elle revient déjà avec un troisième album : Visions. Grimes fait davantage joujou avec des synthés, mais l'ensemble reste très cohérent avec les deux autres disques. Pas de grand changement à l'horizon, mais est-ce vraiment blâmable quand au départ on fait quelque chose d'original ? Les deux morceaux sortis en avance, "Genesis" et "Oblivion", sont les meilleurs du disque. Le premier se bonifie au fil des écoutes tandis que le second est le plus évident, il donnerait même envie de danser. L'album ne ressemble décidément à rien et est un appréciable moment hors du temps, accompagné en permanence par la voix très aigüe et parfois susurrée ou sous reverb de Claire Boucher. Je placerais bien la proposition "voyage céleste" mais j'ai peur qu'on me charrie. Bon, il y a quand même des ratés, comme l'insupportable "Eight" et ses cris stridents mêlés à des voix de robots, erk.
"Oblivion"
"Genesis"En novembre dernier, GorillaVsBear (encore), annonçait déjà que Visions serait "l'indiscutable meilleur album de 2012", c'était aller trop vite en besogne. Ce qui fait la force de Grimes, son originalité, peut aussi se révéler une faiblesse, et à trop expérimenter, on peut vite perdre l'auditeur, voire pas du tout accrocher certains frileux. Néanmoins, saluons la belle performance, Grimes nous a bien envoutés et se classe de suite dans les jeunes artistes prometteurs qui ont enfin décidé de faire du nouveau. Cette phrase me fait penser à un truc qu'on avait dit sur Julia Holter d'ailleurs.
Grimes jouera en France en mai prochain à Laval, Rouen, Strasbourg et Paris, retrouvez les dates ici.