Je n’ai jamais été fan. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours admiré trop de trucs à la fois, ou rien du tout. C’est sûrement pour ça que j’ai de la peine à me souvenir de mes premiers vrais émois musicaux. Mais, paradoxalement, la musique a toujours été centrale dans ma vie, malgré une inculture crasse en la matière. Et bien qu’aujourd’hui j’estime avoir un tantinet rattrapé mon "retard", j’attends toujours le groupe ou le morceau qui me retournera complètement l’esprit. Je n’ai jamais été fan et ça manque à ma vie.
En fait je n’ai jamais rien compris à ce que c’est que d’être fan.
J’ai grandi dans une famille suisse-allemande sans télévision où l’on écoutait de la musique classique ou bien le groupe de "rock pour enfant" dans lequel mon oncle joue de la basse : Sterneföifi (littéralement "5 étoiles"). Si vous m’aviez demandé à l’époque quel était mon morceau préféré, je vous aurait probablement répondu "Geischterbahn" ou peut-être "Les Quatre Saisons de Vivaldi". Mais ça, étrangement, je ne l’assumais pas.
A la maison comme dans la voiture pour aller en vacances, mon père disposait de tous les pouvoirs sur le lecteur CD. J’ai donc appris malgré moi la pratique de l’écoute quasi religieuse de Bach et même si rétrospectivement on peut trouver ça pas trop mal, cet espèce de cérémonial qui accompagnait LA musique ne m’a apporté que des crispations pendant de nombreuses années. Même dans l’apprentissage du violon, je n’osais faire de fausse note sans avoir l’impression de faire pleurer tous les pandas de l’univers. Un coup d’archet de travers et les pauvres bêtes s’étouffaient avec leur eucalyptus, j’en étais convaincue.
En réaction à toute cette pression autour de la musique qui était décidément un monde très sérieux, on pourrait présumer que la petite Anne-Valérie se soit mise en quête d’alternatives qui parleraient plus à ses oreilles. Mais non. Bizarrement, les "autres" musiques n’étaient à mes yeux que des produits commerciaux qui ne méritaient pas vraiment mon intérêt.
Cette impression exagérée se fondait notamment sur une expérience datant du jardin d’enfants: J’avais alors dans les cinq-six ans et la récréation se passait sur la place de jeux de mon école enfantine. Comme d’habitude, Mélanie, la plus mignonne (et surtout la plus pourrie gâtée) de toutes les filles de ma classe était le centre de l’attention. Motif de la béatitude collective : elle avait ramené des sucettes Spice Girls que ses parents lui avaient sûrement acheté "lors de sa rencontre avec ses idoles, au Portugal". Je n’ai évidemment rien contre les origines portugaises de la petite mais quand on était gosses, tout particulièrement dans mon quartier, cette évocation justifiait les mensonges les plus extravagants visant à exciter l’envie des camarades qui n’avaient pas de bled sur lequel projeter leur fantasmes ("Au Portugal mon père me laisse conduire sa voiture", "Au Portugal j’ai une chambre toutes rose avec toutes les Barbies du monde" etc.). Eclairée par l’évocation toute nouvelle de ces exotiques Spice Girls, Mélanie déployait donc cérémonieusement sous nos yeux ébahis le plus absurde article de merchandising, nous révélant l’existence d’un monde fait de girls bands, de paillettes et de concerts qui devaient à coup sûr être la chose la plus cool qui puisse arriver à une jeune fillette. Seulement voilà, il n’y avait pas assez de sucettes pour tout le monde alors Mélanie a déclaré qu’elle n’en filerait qu’à sa meilleure amie. Caressant l’espoir d’être l’heureuse élue (mais qu’est-ce qui pouvait bien me donner l’impression qu’elle allait me désigner ?), j’ai très vite été déçue. Conséquence : mes jeunes synapses ont connecté la "pop culture" en vrac à "bonbon dégueulasse de toute façon" et un sentiment de jalousie primaire. Notons qu’à ce stade je n’avais jamais entendu la moindre note de "Wannabe" et que j’ai donc décidé tout à fait arbitrairement que tous les "fans" étaient des cons, sans même savoir ce que cela voulait dire.
Cette impression exagérée se fondait notamment sur une expérience datant du jardin d’enfants: J’avais alors dans les cinq-six ans et la récréation se passait sur la place de jeux de mon école enfantine. Comme d’habitude, Mélanie, la plus mignonne (et surtout la plus pourrie gâtée) de toutes les filles de ma classe était le centre de l’attention. Motif de la béatitude collective : elle avait ramené des sucettes Spice Girls que ses parents lui avaient sûrement acheté "lors de sa rencontre avec ses idoles, au Portugal". Je n’ai évidemment rien contre les origines portugaises de la petite mais quand on était gosses, tout particulièrement dans mon quartier, cette évocation justifiait les mensonges les plus extravagants visant à exciter l’envie des camarades qui n’avaient pas de bled sur lequel projeter leur fantasmes ("Au Portugal mon père me laisse conduire sa voiture", "Au Portugal j’ai une chambre toutes rose avec toutes les Barbies du monde" etc.). Eclairée par l’évocation toute nouvelle de ces exotiques Spice Girls, Mélanie déployait donc cérémonieusement sous nos yeux ébahis le plus absurde article de merchandising, nous révélant l’existence d’un monde fait de girls bands, de paillettes et de concerts qui devaient à coup sûr être la chose la plus cool qui puisse arriver à une jeune fillette. Seulement voilà, il n’y avait pas assez de sucettes pour tout le monde alors Mélanie a déclaré qu’elle n’en filerait qu’à sa meilleure amie. Caressant l’espoir d’être l’heureuse élue (mais qu’est-ce qui pouvait bien me donner l’impression qu’elle allait me désigner ?), j’ai très vite été déçue. Conséquence : mes jeunes synapses ont connecté la "pop culture" en vrac à "bonbon dégueulasse de toute façon" et un sentiment de jalousie primaire. Notons qu’à ce stade je n’avais jamais entendu la moindre note de "Wannabe" et que j’ai donc décidé tout à fait arbitrairement que tous les "fans" étaient des cons, sans même savoir ce que cela voulait dire.
Nazie musicale en herbe, mais sans passion, je suis passée largement à côté des vagues Lorie et Star Academy. J’ai quelques souvenirs d’une cassette des Bratisla Boys et surtout de Seul de Garou (oui je sais) dont j’alternais l’écoute sous mon lit mezzanine, mais c’est tout. Alors qu’en visite chez ma cousine je découvrais l’existence de posters de Jean-Pascal à taille humaine, je tapissais les murs de ma chambre avec de mignon petits écureuils et un poster de sanglier. Un sanglier. J’avais même fait un exposé à ce sujet à l’école et de toute façon, les dauphins, les chats mignons et les chevaux étaient bien trop "nunuches" pour moi.
Toutes les passions de mes camarades ne m’ont pendant longtemps inspiré qu’un vague sentiment de mépris. D’une part, je pense que c’était une réaction stupide au fait que je ne connaissais rien à la plupart des choses qu’ils mentionnaient. Mais plus généralement, je ne comprenais pas comment on pouvait être inconditionnel d’une seule chose à la fois sans jamais se lasser. Moi même, je pratiquais diverses activités mais je n’aurais jamais dit que j’adorais mon violon par exemple. J’en jouais, et mon entourage trouvait ça admirable. Voilà tout.
Après une enfance vaguement ballotée à gauche et à droite par les découvertes que m’apportaient les autres (les plus significatives étant le Greatest Hits de Robbie Williams, prêté par des voisines et celui des Red Hot Chili Peppers, oublié à la maison par mon cousin), j’ai fini par me prendre en main en secondaire. Je ne sais quelle soudaine inspiration m’a amenée à emprunter Nevermind à la médiathèque mais toujours est-il que ça a été le point de départ d’une quête jamais arrêtée depuis. Sans être totalement bouleversée par le disque, j’ai compris qu’il y avait de la musique qui me remuait, qui me donnait l’impression d’endosser cette fière allure "rock’n’roll" que j’enviais en secret à d’autres. Et c’est à travers des compils faites par ma meilleure amie de l’époque que je me suis plongée dans la découverte du rock. Une des grandes qualités de cette pote étant d’avoir un grand frère avec des cheveux longs et une guitare.
Liées par notre fascination commune pour Nirvana, Marilyn Manson, Alice Cooper (merci Wayne's World), mais aussi The Rasmus et P!nk (wtf ?), nous nous estimions super rebelles, d’autant plus fières d’arborer des goûts aussi "matures" que nous n’en cultivions pas le look noir/rouge/rayures/collier à piques. Nous associer à une catégorie de gens aurait été comme se rabaisser pour nous. Et ça me donnait en parallèle la liberté de pouvoir continuer à écouter du classique (aaah le "Concerto pour Violon" de Tchaïkovski) et, au nez et à la barbe de tous, de redécouvrir la compil "Hip Hop" de mes années primaires, qui alternait Britney Spears et Justin Timberlake.
Nourrie par ces contradictions, consciente d’être une parfaite ignare (je ne sais pas quel âge j’avais quand j’ai appris l’existence de Gainsbourg par exemple, mais je devais déjà être bien avancée dans ma scolarité), je voulais en savoir toujours plus. Je n’avais donc pas le temps de m’arrêter à un seul artiste ou groupe à chérir à la vie, à la mort. Bien au contraire, je jonglais entre les disques de Franz Ferdinand empruntés à une amie, les soirées passées à regarder des lives de Rammstein et les après-midis à écouter Indochine en comptant les jours qui me séparaient du premier grand concert auquel j’allais assister puisque par chance, l’Alice et June Tour se terminait à l’Arena de Genève.
C’est d’ailleurs cet événement qui m’a le plus rapprochée de l’attitude de "fan" telle que je la comprends (alors qu’en fait, j’avais décidé que le nouveau but de ma vie était de voir Nicola Sirkis sur un coup de tête). Initialement, le concert était prévu un 14 novembre, je me souviens encore parfaitement de cette date, puisqu’à partir de la Fête des Vendanges et les quelques Smirnoffs qui avaient conclu mon choix, cet événement à venir était devenu une obsession. Pendant plus d’un mois, j’en ai parlé tous les jours avec la copine qui devait m’accompagner et, de retour à la maison après les cours, j’écoutais en boucle les compilations de vieux tubes ainsi que le double album qui donnait son nom à la tournée. Mais à mon grand dam, la prestation a finalement été annulée in extremis et déplacée au 23 décembre de la même année. Après cette déception, ma soudaine et inhabituelle passion s’est un peu essoufflée. Et bien que je garde un bon souvenir du concert et que j’y ai dépensé toutes mes économies en merchandising, je n’ai plus vraiment écouté Indochine depuis.
quelques vestiges rescapés
En fait je n’ai jamais rien compris à ce que c’est que d’être fan.
J’ai découvert une toute nouvelle façon d’appréhender la musique quand j’ai commencé à gratter le fin fond des internets à la recherche du nouveau cool. Avant skyblog, myspace, et la rencontre d’un tas de gens aussi passionnants que passionnés, je n’avais jamais imaginé qu’on puisse apprendre par cœur tous les noms des membres d’un groupe. La biographie et les frasques d’untel m’étaient indifférentes et je m’attachais plus à des sons qu’aux personnalités qui les produisaient. Je n’irais pas jusqu’à réduire le fait d’être fan à une simple façon de consommer la musique mais je pense que c’est tout de même un aspect du phénomène. Et si je n’ai jamais vraiment été fan de quelqu’un, c’est en partie parce que j’ai d’abord vu les compositeurs comme des entités abstraites et austères à l’origine de morceaux écrasants de noblesse. Ensuite, j’ai découvert et catégorisé les chanteurs "commerciaux" en tant que produits de marketing fabriqués dans le seul but de mettre des étoiles dans les yeux des enfants crédules. Pendant longtemps, je n’ai pas imaginé qu’un musicien ou un groupe pouvait être considéré comme un artiste, une personnalité fascinante et éventuellement porteuse d’un message. Pendant longtemps, à mes yeux, c’étaient juste des musiciens. D’ailleurs moi aussi je fais de la musique, pas de quoi en faire tout un plat.
Aujourd’hui, j’ai un peu l’impression d’avoir raté quelque chose. J’ai passé le plus clair de mon temps de "socialisation musicale" à défricher encore et encore le terrain le plus large possible dans le but d’accéder, chimère, au panorama de connaissances qui m’a tant fait défaut pendant mon enfance et ma pré-adolescence. Pendant super longtemps, j’ai eu l’impression d’être pénalisée par le cadre suisse-alémanique dans lequel j’ai grandi. Je n’ai jamais pris mon pied aux soirées guitare sèche où les gens chantent toutes sortes de "classiques" qu’ils connaissent par cœur. J’ai bouffé du youtube à la pelle pour me faire une idée de ce que ça pouvait être de mater MTV ou MCM dans le début des années 2000. J’ai lu des tas de bouquins pour vivre par procuration l’excitation qu’a pu provoquer le raz-de-marrée punk dans l’Angleterre des années 70 et j’envie vraiment les gens qui ont été ou sont encore habités par des passions dévorantes. Se consacrer entièrement et pleinement à un sujet, je trouve ça super beau. Mais face à la multitude de possibilités, je n’ai jamais su choisir. Aujourd’hui j’admire énormément de choses, j’ai une connaissance plus profonde de celles-ci qu’au temps où on se disait "fan" pour trois chansons. Il n’empêche que j’attends toujours le véritable coup de foudre. Et peut être qu’alors, j’aurai une vraie passion. Enfin.