L E O F A N Z I N E O Q U I O M E T O L A O C U L T U R E O E N O S A C H E T S

10.2.14

[Les fans] Une décennie de Love Supreme

Pour notre dossier sur les fans, on a demandé à des gens de nous raconter comment ils vivaient la chose.
Texte : Juliet


Disclaimer : Marie, qui est une meuf admirable et pleine de courage, m’a récemment demandé d’écrire "quelques mots" sur ma relation à Robbie Williams pour le TEA. Je pars du principe qu’ayant déjà pu assister à des scènes terribles de moi+Robert4ever, elle savait parfaitement à quoi s’attendre. Elle porte donc l’entière responsabilité des "quelques lignes" qui suivent.

Il est essentiel d’évoquer en premier lieu l’évènement fondateur de ma passion :
Nous sommes le 15 décembre 2002, j’ai 10 ans et suis comme chaque semaine installée devant le Hit Machine pour recopier avec application le classement de la semaine dans un petit tableau (j’ai fait ça pendant plusieurs mois, je ne sais plus exactement pourquoi mais il n’était en tout cas pas judicieux de m’emmerder pendant ce créneau horaire parce que je prenais tout ça hyper au sérieux). Cette semaine là, l’un des invités de Charly et Lulu est un homme aux yeux extrêmement verts vêtu d’une veste en jean ornée de lettres gothiques. Vous l’aurez deviné, cet homme, c’est Robbie. Il est venu chanter "Feel" et, dès l’instant où il ouvre la bouche, je plonge dans un état d’extase absolu et sans précédent dont je ne suis jamais complètement ressortie. Nos 18 années de différence n’existent pas et il devient sans prévenir le deuxième homme de ma vie après mon papa. Si c’est indubitablement à ce moment là que le sort fut jeté, il faudra cependant attendre 2004 pour que je sois pleinement absorbée par la perfide spirale du fanatisme absolu.

Une douce après midi d’automne, je tombe nez à nez avec le Greatest Hits de ce cher Robert au détour d’une allée de la Fnac de Valence: la pochette est plutôt accueillante, c’est une photo noir et blanc de Robbie portant une chemise blanche pas du tout boutonnée qui flotte autour de lui. Le bon goût est total. Me remémorant à cette occasion quelques uns de ses singles entraperçus sur M6 au fil des années, j’achète le disque, l’impose à ma famille dans la voiture sur le chemin du retour et à partir de là, je ne le lâcherai pas pendant trois mois. Je ne me rends plus au collège sans mon baladeur CD anti-chocs et à la récrée, je n’hésite pas à me planquer dans les couloirs avec mon casque vissé sur les oreilles pour écouter "Come Undone" tout en tentant de déchiffrer ses paroles dans le livret qui ne me quittait jamais, soigneusement rangé dans mon carnet de correspondance. Je me mets bientôt à acheter méthodiquement tous ses albums. Je commence bien entendu par l’éternel classique Escapology, puis enchaîne avec I’ve Been Expecting You, suivi de Sing When You’re Winning, puis Swing When You’re Winning (qui présentait l’avantage de plaire à ma grand-mère, me permettant de continuer à imposer Robbie pendant les weekends en famille), et enfin Life Thru A Lens, acheté chez un disquaire d’Exeter pendant un voyage de classe à Torquay, en même temps qu’un poster taille réelle de Robbie et après en avoir bien chié pour prononcer "Thru" et me faire comprendre d’un vendeur pas très francophile.



Il faut comprendre qu’à cette époque là, chaque instant de ma vie est consacré à Robbie : j’écris des rédactions sur lui pour l’école, je relis cinq fois sa biographie (Feel = meilleur livre que vous lirez dans toute votre vie), j’apprends les noms de ses conquêtes par coeur, je passe des heures entières en tête à tête avec l’énorme dictionnaire Harrap’s de mes parents pour traduire ligne par ligne ses subtiles paroles, je le dessine sous tous les angles et le soir venu, je me connecte sur son forum français pour discuter de chaque détails de son existence avec des meufs qui ont dix ans de plus que moi et qui me prennent de haut parce que j’ai eu l’audace de naître après la sortie du premier album de Take That, le boy band de ses débuts. Mon entourage pète progressivement les plombs, mon prof de maths signe ses appréciations "RW" sur mon bulletin de notes et je me fais même exclure de mes fonctions de responsable du club informatique de mon collège pour avoir entrepris des "recherches sur Robbie pendant les heures réservées au travail". Je précise que je n’exagère pas du tout, j’ai encore en ma possession la plupart des documents légaux attestants de ces excès. 


Ma passion laisse mes proches assez perplexes et traverse des moments difficiles, comme la confiscation temporaire d’internet après la réception d’une facture de 120€, mais je ne lâche jamais l’affaire. Je reste debout la nuit pour enregistrer des émissions d’Arte sur les clips interdits parce que c’est ma seule façon de pouvoir voir "Rock DJ" en version non censurée (et non, on ne voit jamais vraiment le pénis de Robbie, il portait en réalité un string chair pendant le tournage…) et je frôle le suicide après avoir perdu l’un de ses albums dans un car pendant un cross scolaire à Vals-Les-Bains. Je coche une à une toutes les cases du fanatisme et j’en tire un plaisir sans limite.



A l’automne 2005, Robbie sort un nouvel album, son premier sans Guy Chambers, collaborateur de toujours avec lequel il est entré en guerre juste après Escapology. Intensive Care est un album merveilleux qui déstabilisera certains fans de la première heure qui espéraient probablement que le single inédit de son Greatest Hits, "Radio", soit "just a phase" et qui ne savaient pas trop quoi faire de "Tripping", le peu conventionnel mais génial premier single écrit avec Stephen Duffy. Après "l’album américain pop rock bien sous tout rapport" qu’est Escapology, Intensive Care est "l’album sérieux de la maturité", le "hé regardez je ne suis pas que la meilleure popstar du monde mais aussi un vrai musicien" de Robbie. Il arrive à point nommé dans mon développement musical, juste avant que je devienne pour de bon la sale fan d’indie rock que je suis depuis restée, et me permet de continuer à tranquillement aduler Robbie tout en commençant à élargir mes horizons musicaux. Comme je lis beaucoup d’interviews de l’objet de mon affection, j’en profite pour noter les influences qui reviennent souvent et pas juste ses marques de caleçons préférées (Calvin Klein, you’re welcome), et comme je commence peu à peu à télécharger sur internet, je fais mon éducation. Robbie Williams est un natif de Stoke On Trent et, qu’on le veuille ou non, il est un pur produit de l’héritage musical de Manchester, et c’est donc par son intermédiaire (et celui de mon prof de maths, mais c’est une histoire trop longue pour cet article) que je découvre Joy Division, les Happy Mondays, Oasis, les Smiths ou encore les Stone Roses. Quand tu as 13 ans et que tu vis en Ardèche à 1h du premier disquaire, être exposée à de tels groupes est assez inespéré, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai pour Robbie un respect éternel. Un beau jour, il parle des Strokes dans une interview pour louer les talents de songwriter de Julian Casablancas, je note ça dans un coin de ma tête et ils deviendront quelques mois plus tard le deuxième grand amour musical de ma vie. Aurais-je acheté ce magazine qui les mettait en couverture en décembre 2005 si leur nom ne m’avait pas déjà été familier grâce à lui ? Rien n’est moins sûr. J’aurais peut être acheté Rock One et j’aurais développé une passion maladive pour Simple Plan, et Marie et moi ne serions probablement pas potes aujourd’hui. On est peu de choses hein ?



A partir de début 2006, ma relation avec Robbie a commencé à changer. Je ne le renie jamais, mais comme je commence à écouter pleins d’autres trucs et à faire mes gammes de petite meuf "fan de rock new yorkais", je ne peux hélas plus lui consacrer chaque seconde de ma vie, et comme de toute façon il s’est lancé dans une tournée mondiale sans fin, la presse anglaise est un peu en reste niveau scandales et news insignifiantes, et je peux donc librement me consacrer à mes nouvelles obsessions musicales. Un an presque jour pour jour après Intensive Care, Robbie sort Rudebox, que je décrirais comme "l’album rap dont tout le monde se moque après l’avoir écouté un quart de fois mais qui contient en réalité une bonne moitié de titres super décents et même quelques unes des meilleures chansons de Robert", un album qui achève d’aliéner les plus bas du front de ses fans, plus branchés "chansons sur les anges" que "chansons sur le contenu de l’armoire à pharmacie" de notre briton favori ("Good Doctor"). Je reste néanmoins à cette époque une régulière de son forum, où je tente assez vainement de pousser les gens à écouter les Libertines sur les topics "musique : divers" et prends un malin plaisir à expliquer à des trentenaires avec enfants qu’elles ne sont qu’étroitesse d’esprit et qu’elles ne méritent pas d’être exposées au génie de Robbie. Alors que je finis par plus ou moins lâcher l’affaire sur le forum, Robbie vit assez mal la fin de sa tournée monstre et commence 2007 en rehab pour addictions médicamenteuses diverses et dépression aggravée. A partir de là, il décide de prendre des vacances prolongées, préférant à son pays natal les collines californiennes, et me permettant de passer mes années lycées à m’enticher de divers groupes à cheveux sales et jeans skinny. De temps à autre, je me refais un petit dvd ou une séance de clips sur youtube, mais globalement j’ai à ce moment là repris ma vie en mains, et si les gens qui me connaissent de longue date sont au courant pour Robbie, mes amis plus récents peinent à concilier la Juliet qui collectionne les démos obscures de groupes suédois avec celle qui connait par coeur les paroles de "Millenium" et qui récite sans erreur le rap de "Kids".



Robbie revient finalement sur le devant de la scène en 2009 avec le bien nommé mais très dispensable Reality Killed The Video Star. C’est son album "laissez moi vous parler de ma passion pour les extraterrestres et également de Jésus maintenant je suis clean". Il arrive à un moment de ma vie où j’ai quitté les montagnes boisées de mes jeunes années pour commencer ma carrière de presque adulte à Paris, et sa musique ne me semble plus vraiment pertinente dans ce contexte nouveau. La réalisation est assez amère, pour reprendre les mots de Robbie dans Deceptacon, lui et moi ça devient un peu "I love you but I don’t like you right now". Le retour de l’amour n’en sera finalement que plus intense quand Robbie rejoindra à la mi 2010 ses camarades de Take That pour leur premier album à cinq depuis quinze ans, l’absolument fabuleux Progress. C’est une réussite complète et quasi inespérée sur absolument tous les plans et surtout le symbole de sa réconciliation avec Gary Barlow. Si quelqu’un vous affirme ne pas aimer Progress, il ment probablement, parce que c’est tout simplement l’une des meilleures choses qui soit arrivée à la pop anglaise ces vingt dernières années.



Depuis ce retour en grâce, tout va pour le mieux. Robbie sort avec une régularité déconcertante un album à chaque automne, et si les résultats ne sont pas forcément à la hauteur de Progress ou d’Escapology, lui et moi nous complaisons dans une relation saine, paisible et normalisée. Nous sommes en quelque sorte l’un de ces vieux couples où la passion n’est plus celle des premiers jours, mais qui n’aurait aucun intérêt dans un divorce car nous savons pertinemment qu’on ne trouvera jamais rien d’aussi intense ailleurs. C’est confortable, facile et rassurant. Est-ce un constat un peu triste à 21 ans de savoir qu’on n’atteindra plus jamais ce niveau de révérence pour quelqu’un ? Pas vraiment, à vrai dire c’est assez épuisant d’être une fangirl à plein temps et la Juliet d’il y a 10 ans ne devait pas forcément être simple à gérer au quotidien. Puis j’ai concrétisé le rêve de toute une vie en serrant la main à Robbie le 19 octobre 2012, presque 10 ans après la révélation initiale face à ma télé, et j’ai quand même été capable de reprendre une existence à peu près normale après ça, et même de me laver les mains en rentrant chez moi. J’ai bien failli mettre quelques centaines d’euros dans un voyage en Estonie pour enfin aller le voir en live l’été dernier, puis je me suis finalement ravisée, laissant l’adulte responsable que je suis supposée être gagner cette partie. Le 17 juin 2006, j’avais pleuré toute une journée quand il s’était produit au Parc des Princes et que mes parents avaient jugé cette date incompatible avec mon brevet. Cette année plus de larmes à écraser, mais j’espère bien que nos chemins se recroiseront bientôt, j’ai pas passé toutes ces années à apprendre des obscénités en langue anglaise par l’intermédiaire de ses albums pour ne jamais avoir l’occasion de passer deux heures à faire un karaoké géant avec des britanniques un peu rougeaudes. Robbie et moi on a encore quelques moments intéressants à passer ensemble. He’s the one.