[GUEST 8 : Loraine]
Les loups rôdent en ville de Fribourg et s’attaquent aux chattes esseulées. Illustration faite par Alizée. |
Je m’appelle Loraine, j’habite à Fribourg en Suisse et je n’ai jamais été harcelée dans la rue. Par contre, dans mon entourage, de nombreuses femmes subissent remarques, insultes, attouchements et attaques de manière régulière. Depuis quelque temps, j’aborde le sujet avec différents groupes d’ami(e)s et je constate une chose : tout le monde a une histoire à raconter, tout le monde est touché.
Bien sûr, il m’est déjà arrivé qu’on me siffle ou qu’on m’accoste de manière lourdingue. C’est devenu normal et accepté par la société. Une femme sait qu’en sortant de chez elle, elle se soumet au regard des hommes et à de potentielles réactions. Le problème commence là. Personnellement, je ne me suis jamais sentie harcelée, heurtée dans mon intégrité ou en danger. Et pourtant, toutes les anecdotes qui circulent dans la petite ville qu’est Fribourg me rendent paranoïaque. Quand je rentre seule la nuit, je ne suis plus rassurée.
Le harcèlement de rue fait beaucoup parler de lui en France depuis plusieurs mois. En Suisse, du moins à Fribourg, la problématique ne semble pas être digne d’intérêt. Les femmes qui dénoncent ce comportement et qui revendiquent le droit d’être attirantes sans subir de remarques sont vite catégorisées sous le terme de féministes. Et elles ont mauvaise réputation, ces femmes qui veulent obtenir le même traitement que les hommes. Dans ce cas, tout ce que l’on demande, c’est de pouvoir se balader avec l’apparence et l’allure que l’on souhaite tout en se sentant tranquille, à l’aise et en sécurité. Les hommes ne sont pas les rois de la rue.
"Mais alors ! Il faut agir !", me dis-je. La première étape pour contrer le harcèlement de rue est d’en parler, dans le but de sensibiliser la population. Comment régler un problème de société lorsque celle-ci n’est même pas consciente de son existence ? La tendance est de penser que ces mésaventures n’arrivent qu’aux autres et qu’on est à l’abri. La preuve du contraire : en demandant autour de moi, dans mon entourage proche, j’ai pu recueillir huit histoires auprès de trois femmes différentes. Voici les témoignages que j’ai sélectionnés :
⚤ Chatte #1, 25 ans ⚤
"Novembre 2013 : Je sors de mon bus de nuit au Schoenberg. Il est approximativement 3h50. Je rentre du boulot, je suis fatiguée. Je marche un bout, là je vois une voiture qui ralentit et je me dis « arf un type va en sortir et il va m’accoster »... c’est exactement ça. Le type me suit. Il a entre 20 et 30 ans, grand et sec. Je refuse tout ce qu’il me propose ou me demande. Il ne veut pas me lâcher. On arrive devant chez moi, je sors mes clés pour ouvrir la porte de mon immeuble. Ça me met mal, car il sait où j’habite. Donc je sors mes clés. Là, il bloque la porte et me dit que je dois lui donner un baiser sur la bouche si je veux pouvoir rentrer chez moi. Là j’ouvre la porte et je tire de toutes mes forces pour pouvoir rentrer, j’y arrive et je tire de toutes mes forces une fois de l’autre côté pour empêcher le type de rentrer. Là je vois qu’il s’énerve et qu’il essaie de forcer la porte. Je monte dans l’ascenseur et j’arrive chez moi. Le lendemain, je constate que la porte de l’immeuble est cassée, le verrou a sauté. "
"Juillet 2014 : Je sors du boulot à 3h26 pour prendre mon bus à la gare à 3h30. Un type me crie dessus, puis me crache dessus par derrière. C’est un client, il n’a pas aimé ma manière de lui refuser ses propositions à caractère sexuel un mois plus tôt à mon bar. Je poursuis mon chemin en lui disant que c’était inadmissible ce qu’il a fait. Il me traite de salope et de pute. Il me poursuit et lève sa main à mon visage. A ce moment, un jeune homme lui barre la route et fait comme si on se connaissait. Le client continue de se montrer violent et agressif. Le jeune homme me protège. Il y a la queue à l’entrée du bus, je devance et bouscule des jeunes femmes et je montre au chauffeur que j’ai peur et que je suis en danger. Il ferme une porte, puis la deuxième. A la suite de cette agression, j’ai décidé de porter plainte contre ce client. Les motifs sont voie de fait et injures. J’ai appris par la police qu’il avait agressé une autre femme deux jours après mon agression. La police, après ma déposition (je ne connaissais pas son identité, mais ai fait une description très précise), l’a retrouvé très très rapidement. Cette personne devra simplement payer des amendes. La police m’a appris qu’il ne regrettait rien et qu’il était prêt à recommencer. J’ai porté plainte cette fois, car il s’agit d’un client et que le fait de m’agresser en-dehors de mes heures et de mon lieu de travail est effrayant et inadmissible. Mes anecdotes d’agression sont assez banales en soi. Ce qui ne l’est pas, c’est le fait de porter plainte. Cela doit être systématique et banal. "
⚤ Chatte #2, 23 ans ⚤
"En rentrant d’un festival à vélo vers 1 heure du matin, un homme m’a suivie. Lui était un scooter et donc me suivait sans aucun souci. Lorsque je me suis retrouvée au milieu du pont de Pérolles, et donc bloquée sur la route sans moyen de virer à gauche ou à droite sans me suicider, l’homme est venu à ma hauteur. Il m’a alors demandé : « ça va Mademoiselle ? ». Je lui réponds que « Oui, ça va » d’un ton ferme et strict. L’homme freine et s’éloigne de moi. Je me sens alors soulagée et j’ai l’impression d’avoir gagné contre lui. Mais l’homme revient et lorsqu’il arrive à ma hauteur, il me fesse. Oui, vous avez bien lu ! IL ME TOUCHE LES FESSES et s’en va en klaxonnant, tout content. J’ai hurlé, je l’ai insulté, j’ai pleuré, je n’ai plus pu pédaler et je me suis cachée. Tétanisée, je n’osais poursuivre. M’attendait-il quelques mètres plus loin ? J’ai alors appelé mon père qui est venu me chercher. Ce n’est pas la première fois que je suis victime de harcèlement de rue. Il est vraiment nécessaire que cela s’arrête ! Je refuse de restreindre mes déplacements, mes sorties, et donc de limiter mes choix à cause de ce type d’harcèlement. La rue n’appartient pas au genre masculin."
⚤ Chatte #3, 24 ans ⚤
"J’ai habité à Villars-Vert pendant quelques années. Un soir, je suis rentrée en bus vers 23h30. Arrivée dans le quartier, un type allant dans la même direction que moi commence à me faire la conversation. Je réponds vaguement un bonsoir et un hmm… J’habitais le dernier immeuble de la rue. Une fois à la hauteur de mon immeuble, je demande au gars s’il vit aussi ici. Il me dit que oui, mais il est bizarre. Alors je commence à comprendre que je suis dans la merde. Il ne me semble pas que c’est un de mes voisins et il n’a pas l’air honnête. Devant la porte, je lui dis que s’il vit ici, il peut ouvrir la porte. Il me répond qu’il n’a pas ses clés. Je flippe, j’ouvre la porte et me mets à courir dans l’escalier. Il me court après, mais j’ai réussi à rentrer dans mon appartement et à difficilement refermer la porte sur lui. Il est bien resté cinq minutes à essayer de l’ouvrir avant de s’en aller."
"Le printemps dernier, lors d’un trajet de bus sur Pérolles aux heures de pointe, le bus était bondé et tout le monde était entassé. Un type – une tête de moins que moi, la quarantaine – était collé à moi et donnait un coup de bassin contre moi à chaque mouvement du bus. J’ai mis un moment à comprendre que le type bandait dans son pantalon et qu’il se frottait contre moi. Sur le coup, je n’ai pas osé réagir car j’étais choquée. Finalement, je lui ai mis un coup de coude dans les côtes. Mais il a recommencé au prochain mouvement de bus. Je n’ai rien fait, je n’ai rien dit, je n’ai pas osé et je me suis sentie conne. Je suis juste sortie du bus…"
☹ ☹ ☹
Ces différentes histoires dénoncent un problème sérieux qui reste peu abordé, puisqu’il s’agit d’un sujet sensible, voire tabou. Donc voici la première règle : ne jamais se taire. Il faut extraire ce problème de la sphère privée et le rendre public. Et surtout, l’erreur à ne pas commettre est de se sentir coupable. Ce n’est pas parce que tu portes une jupe qu’un tel comportement est justifié. Ton corps t’appartient et personne n’a son mot à dire.
En France, de nombreux projets bien rôdés et organisés traitant le harcèlement de rue sont déjà ancrés et la problématique est prise au sérieux (cf. les liens ci-dessous). En Helvétie, on aime bien rester dans son coin et se préserver jusqu’à ce que la situation s’aggrave. C’est pourquoi des amies et moi allons monter un groupe de discussion, dans le but de trouver des moyens de sensibilisation. Car oui, c’est nécessaire. L’autre jour, lorsque j’ai dit à un pote que j’étais en train d’écrire un article sur le harcèlement de rue, il m’a répondu interloqué : "Mais on a pas de ça chez nous, non ?". Si ! Et il faut que ça cesse.
Suggestions pour aller plus loin:
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Loraine a 23 ans et vit à Fribourg. De nature curieuse et intéressée, elle se tient au courant des activités qui animent sa ville et s’investit avec motivation pour la faire vibrer. Même si très attachée à son univers, elle s’exile régulièrement pour découvrir de nouveaux horizons. Elle affectionne particulièrement le Royaume-Uni pour sa culture débordante, du tea time aux mulets des rockeurs. Elle préfère cependant le thé à l’orientale : énormément de sucre avec de la menthe.