Vous avez sûrement/forcément entendu parler des Femmes S'en Mêlent, ce festival grâce à qui on peut voir pendant plus d'une dizaine de jours des filles qui (souvent) font de la bonne musique tourner dans les clubs de France et de Navarre. Entretien avec l'instigateur et programmateur du festival, Stéphane Amiel, un homme passionné et passionnant.
TEA : Comment en arrive-t-on à créer un festival itinérant ne programmant que des femmes ?
Stéphane Amiel : Comment ? Oulala ! (rires) Il y a plusieurs facettes dans ta question, il y a itinérant et féminin. Ca été créé il y a treize ans. Il y a treize ans, les filles n’étaient pas aussi présentes dans la musique, il y en avait moins, aujourd’hui c’est vrai que ça parait beaucoup plus facile. Mais il y a treize ans on avait du mal à faire une programmation sur quelques jours à Paris, à recueillir des artistes intéressantes, y en avait beaucoup, beaucoup, beaucoup moins. Donc voilà, nous on eu l’idée de faire le festival à Paris, c’est là qu’il a été monté la première année. Et les filles parce que je sais pas, c’était inédit, nous on écoutait beaucoup de voix féminines, on était plusieurs et voilà, c’est comme ça qu’est venue l’envie d’un truc qui n’existait pas. Il n’y avait pas de grand acte politique derrière tout ça, on voulait juste mettre en avant des artistes qu’on aimait bien... Après le fait que ça soit itinérant, c’est un mode économique. C’est à dire que le festival a pu exister et peut exister grâce aux tournées, au fait qu’il n’y ait pas une seule date mais plusieurs, et proposer plusieurs villes, même si tout le monde ne joue pas partout bien sûr. Économiquement c’est plus facile de proposer à des artistes qui viennent de loin plusieurs dates. On a peu de moyens. On n’a pas les moyens de payer pour une seule date et de faire venir des artistes de très loin, d’Amérique, d’Angleterre ou de Suède, de tout ça. Mais dès qu’on propose plusieurs dates voilà, économiquement c’est viable. Voilà. C’est un système qu’on a trouvé rapidement, au bout de la troisième édition. Il y a des endroits où ça marche très bien, d’autres moins bien...
Et où est-ce que ça marche bien par exemple ?
Grenoble. Il font quatre dates. Mais voilà, beaucoup de villes n’en font qu’une. Moi je propose aux salles, c’est eux qui voient ensuite ce qu’ils ont envie de faire et ce qui est possible. Dans la programmation, c’est les salles qui me disent quels genres d’artistes ils veulent. Et on essaie de leur faire plaisir au maximum. (rires)
Comment vous sentez-vous à l’aube de cette treizième édition ?
Fatigué. (rires) J’sais pas non. Bien... On a une super édition, c’est incroyable. C’est jamais facile puisqu’on fait des paris sur des artistes qui sont très peu connues, ou pas encore connues, qui viennent juste de débarquer dans le paysage musical, donc c’est jamais gagné d’avance. C’est un festival indé, qui prend des risques, donc je me sens toujours un peu fébrile, mais voilà.
Vous disiez rêver de pouvoir programmer Le Tigre, avec MEN au festival cette année, vous êtes en partie exaucé non ?
Ouais je suis presque exaucé, exactement. Ca en fait au moins une, sur trois. C’est dommage parce que même dans MEN normalement il y avait deux filles du Tigre mais il y en a une qui n’est plus dans le projet ou qui a arrêté ou qui ne fait pas les tournées en tout cas, parce qu’elle a un enfant et tout ça, donc elle vient pas en tournée. Mais voilà, au moins j’en ai une. Un de mes vœux exaucé, il y a MEN. Le Tigre est un des groupes féminins emblématiques des vingt dernières années, le plus important à mon avis. C’est important pour le festival, pour nous et ce que ça représente, ce que ça crée comme vocation auprès d’autres filles. Donc MEN est très attendu, en plus les ayant déjà vues sur scène, c’est juste mortel quoi.
Ca tombe bien, MEN passent à Angers.
Non mais à Angers vous avez une super programmation hein ! Jessie Evans et MEN : va y avoir le feu quoi... Ca va changer. L’année dernière il y avait Wildbirds qui étaient énormes, mais bon, je pense qu’il y avait pas beaucoup de monde l’année dernière. Alors que Wildbirds & Peacedrums, c’est un des plus gros groupes qu’on ait fait en festival je pense. Maintenant on a plein de propositions pour les refaire ailleurs, donc voilà... Mais MEN, très attendu. Vous allez avoir un des groupes phares de cette édition. Vous avez de la chance (rires).
Est-ce que cette édition a des enjeux particuliers ?
Ouais, c’est pas se planter. Il faut que ce soit un succès. L’année dernière c’était difficile financièrement et sur la fréquentation, donc cette année il faut que ce soit beaucoup mieux. Donc il y a un enjeu, c’est à dire que si cette année-là il y a peu de monde dans les salles, je pense que ça signera l’arrêt de mort du festival. Donc c’est la survie du festival qui est en cause.
C’est étrange parce que vous êtes quand même beaucoup relayés au niveau de la presse...
Ouais, on a beaucoup de presse ouais. Il y a beaucoup d’intérêt, mais après, moins d’intérêt du public peut être d’aller voir des choses qu’ils ne connaissent pas... Ce que je peux comprendre aussi des fois, les gens ont moins d’argent... C’est compliqué. On essaie vraiment de faire beaucoup de dates, mais il y a des dates où malheureusement il y a moins de monde. On joue pas la facilité tout le temps non plus, on essaie de faire venir des artistes qu‘on n‘a pas vu. C’est le revers de la médaille. Des fois il y a personne. Parfois on est trop en avance sur des choses qui vont marcher ensuite, comme Ebony Bones : un an et demi après, c’était le groupe que tout le monde avait envie de voir. Mais l’idée d’un festival pour moi c’est un festival qui prend des risques, qui n’a pas toujours des facilités. Donc voilà, l’idée c’est qu’il faut que ça soit un succès public cette année, qu’il y ait beaucoup de monde un peu partout.
Dans la présentation des Femmes S’en Mêlent sur le site internet, il y a écrit que c’est un festival pour la féminité et non pas le féminisme, cette différence est importante pour vous ?
Ouais, c’est à dire que c’est pas un ghetto du féminisme quoi. Les Femmes S’en Mêlent c’est pas un ghetto de filles. Après, il y a des artistes qui sont hyper féministes, il y en a plein dans le festival. Ca ne dérange pas, au contraire, on soutient plutôt ça. C’est la création féminine, on n’est pas que sur le discours. Mais on ne peut pas dire féministes, tu vois, c’est un garçon qui le fait. C’est pas un ghetto et justement les féministes aiment bien aller au festival parce que ça ouvre le débat. Il y a beaucoup de garçons qui viennent au festival aussi., c’est vraiment très mélangé.
Comme vous l’avez dit, la situation des femmes dans la musique a aujourd’hui changé, elles semblent enfin s’être imposées, comme par exemple on a pu le voir avec le festival des Inrocks l’année dernière où la scène féminine était très représentée, est-ce une victoire pour vous ?
Euh, c’est un challenge pour moi, c’est un nouveau challenge. Ca prouve que... Ca prouve rien du tout. Ca montre juste qu’on avait raison. Mais en même temps on s’en fout d’avoir raison. L’important c’est de faire les choses qu’on aime. Mais oui, ça fait plein de challenges maintenant, il y a de plus en plus de filles, de plus en plus de festivals qui les mettent en valeur. Et le problème c’est que maintenant j’ai une concurrence énorme. Je suis obligé de réfléchir différemment. Donc je dois chercher encore plus, me creuser encore plus la tête. C’est pour ça que ça devient de plus en plus compliqué, parce que l’idée c’est de pas refaire ce que les autres ont fait. Donc il y a des groupes que je peux pas faire. Ils ont joué avant... Ou ils ont d’autres choses... Ou on les a déjà vus... On est obligés de se creuser les méninges deux fois plus pour trouver des projets intéressants et novateurs...
Il faut que le festival ait encore quelque chose bien à lui...
Oui voilà, exactement. Avant c’était plus le côté filles, maintenant c’est le côté indépendant. On va donner la parole à ceux qui l’ont moins.
TEA répondra présent aux Femmes S'en Mêlent au Chabada à Angers, le jeudi 25 mars, avec au programme Jessie Evans et MEN, ça va être megatoll et en plus ça ne coûte pas cher, alors allez-y !
Pour ceux qui habitent ailleurs, pas d'excuse pour rater le festival, qui passe dans plein plein plein de villes (et squatte Paris plusieurs jours), vous trouverez toutes les dates sur le site.