L E O F A N Z I N E O Q U I O M E T O L A O C U L T U R E O E N O S A C H E T S

13.11.13

Je n'ai pas de belle histoire sur comment j'ai découvert la musique, et parfois, ça me bouffe

mon super sac Quicksilver de collège avec un patch de Franz Ferdinand

Il y a quelques mois, le quatrième album de Franz Ferdinand est sorti. Je l'ai écouté, vaguement. Il y a encore cinq ans, j'aurais été toute excitée et me serais ruée dessus aussitôt qu'il aurait fuité sur internet. Plus maintenant. Mais ce n'est pas vraiment la question de cet article.

En fait, ça m'a surtout rappelé une conversation que j'avais eu début juillet. Dans les loges d'une scène des Eurockéennes, le dernier soir du festival, deux amies et moi discutions avec des techniciens de My Bloody Valentine, très sympathiques au demeurant. A un moment donné, un des types nous a demandé quel était notre album préféré, et ça a vite dévié je ne sais plus trop pourquoi sur notre éducation musicale et comment nous en étions arrivées à écouter la musique que l'on aime maintenant. Nous étions donc invitées, tour à tour, à raconter à ces hommes beaucoup plus experts (parce qu'ils sont vieux et qu'ils bossent pour MBV, CQFD) notre parcours personnel qui faisait qu'aujourd'hui, on portait des tee shirts des Cramps ou de Devo. En gros.

Mes potes ont commencé. Il y en a une qui a expliqué que quand elle entrait tout juste au collège, elle découvrait le punk et avait une révélation en découvrant les Ramones. Puis plus tard, elle avait appris que sa mère aussi était passée par là quand elle avait son âge, etc. Depuis, c'est toujours son groupe préféré. Une histoire mignonne et cool, donc. L'autre avait une trajectoire différente, puisqu'elle a commencé très tôt à jouer du violon, et ses premiers émois musicaux sont donc classiques. Là, un des techniciens a sauté sur l'occasion pour discutailler de tel ou tel compositeur obscur. Ca avait l'air très intelligent et intellectuel.

Et puis ensuite, après un temps, ils se sont tournés vers moi, attendant mon histoire. 
Ca faisait plusieurs minutes que je ruminais dans ma tête ce que je pourrais bien leur dire. Je me sentais toute gênée et j'étais consciente que c'était ridicule de l'être, du coup, j'étais énervée par dessus le marché.

Je n'avais tout simplement pas d'histoire cool à raconter. 
Personne n'est mélomane dans ma famille. Mon père trouve même qu'avoir un fond sonore est dérangeant. Et la seule fois où mes parents sont allés à un concert, Supertramp, ils ont trouvé ça trop bruyant et trop bondé. Je n'ai tout simplement jamais baigné dans un environnement propice à développer une passion démesurée pour la musique.
J'ai écouté NRJ quand j'étais gamine, pas de la musique classique, pas du punk.
Quand mon beau père a téléchargé Room on Fire des Strokes et m'a demandé s'il voulait que je lui grave, j'avais douze ans, et je lui ai dit non merci, parce que je n'aimais que "The End Has No End". Je n'avais pas encore les clefs en main pour pouvoir apprécier ça. Ca m'a pris du temps.
Je ne me suis mise à écouter du "rock" qu'à la seconde moitié du collège, et je considère que mon groupe déclencheur a été Franz Ferdinand, pas une formation hyper respectée d'avant les années 90.
C'est ce que j'ai répondu aux techniciens, "Franz Ferdinand". J'ai essayé de me justifier, dire que ce groupe, via ses interviews ou ses reprises, m'a rapidement introduite à la vieille bon pop anglaise, que j'ai découvert Pulp grâce à une cover de "Mis-Shapes". Ils m'ont regardée en souriant, m'ont laissée parler deux minutes, et puis se sont remis aussitôt à parler de musique classique avec mon autre amie.

Ca m'a un peu chagrinée, même si je m'y attendais et qu'ils ont été très respectueux. Ce n'est pas de la jalousie, je m'en moque de ce que ces techniciens pensent de moi, je ne comptais pas devenir leur meilleure amie non plus, encore moins les impressionner. Mais ça m'a énervée de me rendre compte, une fois de plus, que certaines histoires valent mieux que d'autres. Ok, ce n'est pas classe, ce n'est pas émouvant ou quoi que ce soit, mais putain, c'est mon histoire. Et je n'ai pas vraiment choisi ça. C'est dur, de faire sa culture par soi-même comme ça. Moi aussi j'aurais aimé que mon premier émoi musical soit à dix ans en écoutant une cassette des Smiths que j'aurais retrouvé dans les affaires de jeunesse de ma mère, mais non, ça n'est pas arrivé. Moi j'ai eu Franz Ferdinand, désolée.

Et ce qui m'énerve encore plus, c'est de voir que parfois, j'ai vraiment du mal à admettre ce parcours.
Parfois, j'assume complètement, et suis prête à en parler, en tournant cela moitié en dérision, tandis qu'une autre part de moi reste pleine d'affection pour la jeune adolescente tâtonnante que j'étais. Et parfois, je n'assume pas du tout et me surprends à penser "putain, j'espère que le nouvel album de Franz Ferdinand va être bien, ça me laissera un peu de crédibilité". Qu'est ce qui cloche avec moi putain ? Pourquoi suis-je incapable de défendre ce que j'ai pu aimer à la folie sous prétexte que ce n'est pas assez cool maintenant ?
Parce que l'ego, parce que j'ai des amis qui ont de meilleures histoires que moi, parce que j'ai sûrement trop traîné avec des nazis de la musique à la recherche de la moindre faute de goût pour pouvoir t'attaquer (j'en reparlerai un jour), parce que...

Je ne pense même pas que les techniciens de My Bloody Valentine m'ont jugée. Ils n'avaient juste rien à dire pour rebondir, ça leur parlait moins. Eux aussi ont dû écouter de grosses daubes, tout n'était pas parfait à leur époque non plus. Tout le monde a dû écouter des grosses daubes, j'ai juste plus un problème avec ça que d'autres. Mais je vais me soigner. Et admettre que je n'ai pas d'histoire cool sur comment j'ai découvert la musique mais que ce n'est pas grave, je peux et me suis déjà bien rattrapée. En attendant, je ne sais toujours pas si j'aime le nouvel album de Franz Ferdinand.