L E O F A N Z I N E O Q U I O M E T O L A O C U L T U R E O E N O S A C H E T S

26.2.14

[Les fans] Photos dédicacées


Le dossier sur les fans touche à sa fin et nous sommes plus qu'heureuses du succès qu'il a eu. On en a même été un peu étonnées avant de réaliser qu'au final, c'était assez compréhensible. Même ceux qui n'ont jamais adulé un artiste se sont déjà posé la question : c'est quoi, être fan ? Pas vraiment facile d'y répondre, puisque cela touche chacun différemment. Mais il touche, c'est certain, au plus profond et chacun s'y retrouve, à sa manière. Ce qui ressort le plus de nos témoignages, quand même, c'est qu'être fan, c'est comme une histoire d'amour à sens unique. C'est un début de relation où la personne aimée rayonne et envahit nos pensées. Ici, on n'attend pas de tendres caresses, de grandes déclarations passionnées ou des petits bisous dans le creux de la nuque. Mais il ne faut pas décevoir, il y a des canons à respecter. Et parfois, la confiance est perdue et l'amour s'en va, brutalement ou par étapes. Pour clore le sujet, nous avons encore six petites histoires d'amour, ou encore six anecdotes de fans, comme vous voudrez.

Loraine, 22 ans, Fribourg
Quand les premiers films Harry Pottersont sortis, j’ai craqué sur Rupert Grint, aka Ron Weasley. J’avais environ 13ans et ma vie tournait autour des sorciers de Poudlard. A l’époque, je lisais régulièrement le magazine One, dans lequel ils donnaient les adresses des stars du moment. Avec ma soeur, nous avons donc décidé d’envoyer une lettre à nos acteurs britanniques chéris. Ayant toujours eu un faible pour les méchants, elle a écrit à Tom Felton, qui jouait le rôle de Drago Malfoy.

Dans ma lettre à Rupert, j’ai partagé ma passion pour Harry Potter et mon affection pour son personnage. Je me suis présentée et j’ai bien insisté sur le fait que, comme lui, je suis rousse (je pensais être originale parce que les roux sont plutôt rares en Suisse). Rupert Grint ayant été nominé comme pire acteur de l’année, je pensais qu’il n’avait pas de fans et qu’il recevait peu de lettres. Pour moi, c’était évident : j’avais le profil de la fan idéale et j’allais recevoir une réponse de sa part.

Un ou deux mois plus tard, toujours pas de nouvelles. Ni de Rupert, ni de Tom. Un jour, ma soeur a reçu une lettre d’Angleterre : c’était l’hystérie. Tom Felton lui avait envoyé une lettre et une photo de lui. Folle de jalousie, je suis allée chercher le courrier deux fois par jour pendant la semaine qui a suivi. Mais je n’ai jamais eu droit à ma photo.

Rupert Grint, j’étais une fan aimante, dévouée et solidaire... et tu as brisé mon coeur.


David, 20 ans, Bordeaux
On s’imagine souvent que devenir fan d’un groupe c’est comme avoir le coup de foudre, que nos tympans croisent le chemin des pulsations sonores d’un certain morceau et en deviennent accro pour la vie. Mais ce n’est pas toujours le cas et cela à cause de diverses raisons pas toujours dépendantes de notre volonté. Prenons l’exemple des Strokes, groupe pour lequel je voue maintenant une totale adoration (en oubliant le dernier album).

Tout commence par une matinée d’un mois pluvieux de 2004, une étonnamment bonne pub d’EDF avec en fond sonore "The End Has No End" passe à la télévision. Mon moi de 11 ans n’ayant alors aucune connaissance musicale décente se trouve interpellé, malheureusement pas d’internet pour aller voir qui se cache derrière cette douce musique, je finis donc par oublier. On se retrouve alors deux ans plus tard, guidé par une interview de Daniel Radcliffe, je me fraye un chemin vers une connexion internet afin de voir qui sont ces Strokes, je tombe sur "Reptilia", pour d’obscures raisons la voix me déplaît totalement et je ne fais pas le lien avec la pub EDF, je laisse tomber.

Deux autres années plus tard, c’est l’été et je joue à Rockband chez un ami, "Reptilia", encore elle, s’enclenche. Je ne fais toujours pas le lien avec mes deux autres expériences précédentes mais cette fois c’est la bonne. Le riff de guitare ne quitte plus mon cerveau, et, finalement doté d’un ordinateur, j’ai enfin la possibilité de googler ce merveilleux groupe à loisir (et découvrir que je les connaissais depuis un bon bout de temps), d’écouter en boucle chacun de leurs morceaux, lire chacune de leurs interview et collecter un trop grand nombre de photos/ lives/ tablatures et j’en passe. L’histoire d’amour, telle une mauvaise comédie romantique, continue depuis lors, mon moi de 11 ans finalement satisfait.

Albertine, 22 ans, Fribourg
J'ai fait dernièrement l'expérience d'une rencontre avec un fantasme et objet de fanatisme de ma période "fraichement-pubère": Pete Doherty.

Il donnait un concert dans ma ville. Le matin même, j'ai embarqué ma colocataire dans une promenade "looking for pete" car j'avais fleuré qu'il serait dans le quartier. Effectivement, Pete se "promenait" en titubant, à 11h du matin. A l'idée de sa rencontre, de vieux émois de jeunesse ont refait surface car il garde tout de même un semblant de désinvolture assez sexy, de loin en tout cas. Mais à la vision de l'emblème du "sexy-crado-rock'n'roll" à la violente lumière du soleil, on est frappé d'une certaine lucidité obligée. C'est pas vraiment le genre de "rencontre avec une star" après laquelle tu dis que "tu te laveras plus jamais la joue", si vous voyez ce que je veux dire. La rencontre n'en fut pas moins palpitante et nous avons eu droit à être sur sa guestlist pour le concert du soir-même. Mon attirance pour Pete-le-suave en a pris un sérieux coup, mais rien n'effacera la coolitude intersidérale d'avoir pu aller au concert grâce à son invitation. Maintenant, s'entrechoquent dans ma tête l'imaginaire de sa personne et la dure réalité.

José, 150 ans et demi, Provence (Suisse profonde)
Tu as seize ans et toi et tes deux copains d'école partent en train de Neuchâtel direction Bâle pour aller au concert des Pogues, après que les parents aient donné leur bénédiction, à condition que t'appelles une fois arrivé à Bâle pour les rassurer que t'as bien trouvé une auberge de jeunesse (ce qui est bien évidemment le cadet de tes soucis). Tu arrives à la salle de concert. Le dj enchaîne les morceaux de reggae, te donnant l'impression d'écouter à chaque fois le même morceau de reggae, parce que tu n'y connais rien en reggae. En plus t'as encore jamais fumé de joints. Enfin le concert commence, et là, horreur, pas de Shane Mcgowan (en cure de désintox, apprend-t'on), remplacé au pied levé par un chanteur qui n'a pas le même charisme éthylique que le mythique leader des Pogues. L'ambiance énergique et chaleureuse du son irish-punk ne parviendra néanmoins pas à te consoler de ta déception à toi et tes deux copains d'école.

Le concert se termine, et, frustré, tu pars dans la nuit en quête d'un abri. Après 3/4 d'heure de marche, tu approches d'une bâtisse: la salle de concert que tu viens de quitter 45 minutes plus tôt...
Tu décides alors de partir en ligne droite dans une autre direction: une demie-heure plus tard, tu approches de la frontière allemande... Tu flippes à l'idée de te faire arrêter pour vagabondage et en plus t'es mineur à 2h du mat dans une zone industrielle chelou. Tu rebrousses chemin sur la pointe des pieds. Ouf, le garde-frontière ne t'as pas remarqué, toi et tes deux copains d'école.
"Longeons la rivière, nous finirons bien par sortir de la ville et nous trouver un petit coin sympa en forêt!", lances-tu.

Tu passes à côté d'un camping et y piques du p-cul pour allumer un feu. Tu arrives enfin dans un bois et t'installes confortablement, toi et tes deux copains d'école, enroulés dans des sacs poubelle trouvés sur place. Tu finis par t'assoupir, seulement voilà c'est le début de l'hiver et tu es réveillé une heure plus tard parce qu'il se met à te neiger dessus (ainsi que sur tes deux copains d'école, bien entendu). Le feu commençant à s'éteindre, tu le déplaces sous un banc public (en bois), ce qui le ravive durant une petite heure. Puis, congelé, tu décides de marcher en direction de la gare, afin de prendre le premier train. Tu es de retour dans tes pénates vers 10h du matin. Le clou est enfoncé lorsque tu apprends, quelques années après, que le gars qui poussait la chansonnette ce soir là n'était autre que Joe Strummer. (Quoique certains pensent qu'il s'agissait en fait de Spider Stacy, le flûtiste des Pogues.)(Mais pour le mythe, tu préfères penser que c'était bel et bien Joe Strummer).

Vanessa, 27 ans, Fribourg
Je n’ai jamais été fan. Du moins, je n’ai jamais fait partie d’un fan club ou eu la lubie de savoir tout sur une personne. Mais j’ai aimé et j’aime. Mon amour se partage entre plusieurs groupes mais de ces derniers celui qui a toujours été présent vient de Boston: Converge. Je peux dire que ce groupe remporte tous les prix dans mon coeur et tous les coups sur mon corps. Les remous d’un public plutôt violent ou la distance ne m’ont jamais freiné à suivre ce groupe. J’ai également réalisé que la maladie n’était rien face à un désir. Une fois, j’ai conduit quatre heures avec de la fièvre, 38,9° C de température, tout cela parce que l’idée de les manquer n’était que douleur plus profonde… Je les aime, eux et leur musique. Elle me transporte, elle me défoule. Pourtant elle est inaccessible pour bien des gens, voire insupportable. Et à chaque fois que j’ai pu parler avec le groupe, j’ai immortalisé ce moment par une photo qui me permet de me souvenir de ce concert. Petite habitude qui m’a quand même valu la réflexion de Jacob Bannon, leader du groupe, « je te vois grandir d’année en année ». Tout cela je l’ai fait pour satisfaire une envie présente, inexplicable. Je ne l’ai jamais regretté. Et toutes les personnes qui ont pu assister à ces moments que j’ai partagé avec mon coeur et mon esprit vous le diront: "je ne l’ai jamais vu autant heureuse".

Fanny, 21 ans, Bordeaux
Le jour où j’ai volé Patti Smith
Je suis une fan un peu bizarre, dans le sens où au-delà de la musique, je deviens souvent fascinée par des personnalités. Après Lorie*, Kurt Cobain et Phil Spector (cette phrase n’a aucun sens), je suis devenue obsédée par Patti Smith le jour de mes 15 ans, lorsque ma mère m’a assise sur le canapé et m’a fait écouter Horses qui était l’album qu’elle avait acheté à ce même âge.

A partir de ce jour-là, j’ai développé une fascination bizarre pour Patti Smith. Elle est arrivée au moment où je commençais à m’intéresser au mouvement du Riot Grrrl et au-delà de sa musique, j’étais passionnée par ce qu’elle représentait (ou pas), cette idée de femme qui s’impose dans un milieu et une période clairement monopolisée par les hommes.

Quelques mois après mes 18 ans, le Théâtre de l’Odéon a organisé une soirée où Isabelle Huppert lisait des extraits du livre Just Kids de Patti Smith en avant-première, entre calés de poèmes et de chansons de Patti Smith. J’ai donc décidé de dépenser mon premier salaire de préparatrice de burgers pour aller à Paris pour la première fois voir enfin celle que je ne pensais jamais voir**. La soirée a été incroyable et, à la fin, Patti Smith a dit qu’elle dédicacerait ses livres en vente en bas. En mode grosse exclu tu vois. Le seul petit détail était qu’au royaume de Ronald on ne paie pas très bien ses employés, et qu’avec le train, le ticket et le week-end passé à Paris, il ne me restait RIEN. Du coup, quand j’ai fouillé mon portefeuille et que je me suis rendue compte que je n’avais que quelques centimes, j’ai commencé à paniquer avant de me promettre que je ne repartirai pas sans ma dédicace.

Au rez-de-chaussée, les sexagénaires aisés agitaient leurs billets de 50€ pour acheter le Saint Graal, et il y a avait trois tables remplies d’une pile immense de la fameuse autobiographie. J’étais un peu paumée au milieu, je ne savais pas quoi faire, quand soudain quelqu’un a crié « Patti Smith est là!! ». Il y a eu un mouvement de foule, j’ai vu le haut de son chapeau, j’ai pris un livre sur la table, j’ai doublé tous les yuppies et ce fut mon tour d’avoir ma dédicace. Patti Smith m’a dit « Thank you for buying my book young lady », et j’ai répondu « arrhh gnii euuh I love you*** ggnuuu », avant de me perdre pendant 25 minutes dans Paris parce que je n’ai pas tout à fait le sens de l’orientation de Passe-Partout.

Le point important à préciser est que je viens d’une longue lignée de bibliothécaires et de profs, et que dans ma famille, ON NE VOLE PAS UN LIVRE. Vraiment pas. Mais alors pas du tout. L’autre chose à préciser aussi est que la seule chose que j’avais volé avant cela était un collier à Mim quand j’avais 10 ans. La semaine d’après en faisant les courses, j’étais allée le reposer devant le magasin avec un mot accroché avec inscrit « Désolé ». Je ne suis donc pas tout à fait Jesse James. Ce qui fait qu’après avoir dévoré le livre dans le train, je me suis retrouvée emplie d’une énorme culpabilité, qui a fait que je m’en suis voulue à mort pendant un sacré bout de temps****

Un an et demi plus tard (je vous jure que cette histoire a une chute), Patti Smith est passée à vingt minutes de chez moi. Avant son concert, elle faisait une heure de questions-réponses avec le public. Au milieu de cet échange pas franchement passionnant, une femme qui ne brillait pas par son intellect depuis le début de la soirée a demandé comment c’était de vivre à New York en étant pauvre quand elle était jeune. Patti Smith se met à raconter qu’elle volait beaucoup avec Robert Mapplethorpe, mais que maintenant elle le regrettait. Et là, JE VOUS JURE QUE C’EST VRAI, elle dit « Sauf les livres, les livres devraient être gratuits et je ne blâmerais jamais un jeune qui veut s’instruire gratuitement ». J’étais trop estomaqué pour pouvoir hurler « TROP COOL PARCE QUE J’AI VOLÉ TON LIVRE », mais mon karma a augmenté de 300%.

Voilà donc comment j’ai volé Patti Smith. Mais en fait elle était d’accord.

* : Chacun ses dossiers, hein
** : Oui bon en fait elle a fait de grosses tournées européennes par la suite et je l’ai vu pas mal de fois, mais je ne le savais pas encore à ce moment là
*** : Chacun ses dossiers BIS
**** : Précisons que l’une des créatrices de Teazine est le témoin privilégié de cette période, et je dis DE RIEN pour cela