[GUEST 6 : Ariane]
Ils avaient tout fait pour m’en dissuader.
Tenté d’attirer mon attention vers la nature environnante.
Voulu m’emmener à l’autre bout de la ville, celui qui tenait encore debout.
Mais surtout, surtout, "ne t’approche pas du centre de Christchurch", m’avaient-ils avertie. "Il n’y a plus rien à y voir, on te dit. Tout est détruit depuis le tremblement de terre de 2011". Rien à faire : peu importait les conseils de mes nouveaux amis néo-zélandais, il fallait que j’aille voir par moi-même. "Ne t’attends pas à grand-chose", avaient-ils soupiré.
Embarquée dans un bus presque vide, j’ai su que j’approchais de l’épicentre avant même d’y parvenir : le bruit des marteaux-piqueurs, machines à mortier et autres engins à construire faisait déjà résonner mon crâne.
"Pas loin de la gare des bus, tu trouveras une mignonne petite librairie", m’avait renseigné un ami voyageur. Avant d’ajouter avec un brin d’ironie : "si elle existe toujours..."
Eh bien, force m’est de constater qu’elle n’existe plus.
En fait, plus grand-chose n’existe. Les rues sont pavées de devantures éventrées, de vitres fissurées, de façades en miettes.
Les immeubles encore debout se font lentement dévorer par les mauvaises herbes. De longues étendues jonchées de débris laissent imaginer d’anciennes bâtisses, aujourd’hui rayées de la carte. Pas un chat dans cette partie de la ville. Le cœur serré devant un tel champ de ruines, je comprends enfin les avertissements de mes nouveaux amis.
"Et encore, ils ont bien déblayé", constate Jérémy, habitant de la banlieue. "A cause de tous les débris qui bouchaient les rues, le cœur du centre-ville est resté fermé pendant longtemps ! Ce n’est que l’année dernière qu’ils ont ré-ouvert les routes, petit à petit, et qu’on a de nouveau pu avoir accès à notre ville. Et c’était pas beau à voir…"
"Un vrai choc, confirme Louise. On ne reconnaissait plus rien. Dans une ville, on se repère grâce aux immeubles, aux constructions, à tout ce qui est tangible. Mais comment faire quand tout est à terre ? Je me suis sentie perdue dans ma propre ville".
Balayée par le tremblement de terre, Christchurch n’a plus rien d’une métropole.
Mais l’ancien quartier jonché de buildings a laissé place à un vaste espace à réinvestir.
Le long processus de reconstruction suit son cours ; pour l’instant, la priorité est à l’embellissement. Et les habitants, pierre par pierre à l’édifice, semblent vouloir se réapproprier leur quartier dévasté.
Christchurch doit à tout prix redevenir un endroit où il fait bon vivre. Alors chacun s’efforce de rendre sa dignité à la ville, parfois avec les moyens du bord.
La mairie fait aménager un quartier commercial tout en containers bariolés. Les food-trucks investissent le cœur de la ville. Un collectif d’habitants crée un jardin communautaire sur les ruines d’un vieux restaurant. De jeunes architectes construisent un jardin d’enfants avec les décombres qu’ils ont pu trouver dans les rues.
A l’aune du tremblement de terre, un vent de créativité souffle sur les ruines de Christchurch.
"C’est vrai que le tremblement de terre a eu ça de positif", reconnaît Jérémy. "Passé le choc, au lieu de se morfondre, les gens se sont unis pour reprendre la ville en main. C’est un processus créatif, oui, je pense qu’on peut le voir comme ça. La ville renaît doucement de ses cendres. Niveau reconstruction, tout reste à faire... Mais on se réapproprie les lieux".
Au détour des décombres fleurissent de nombreux clins d’œil, pour qui se donne la peine d’observer au-delà des tristes apparences. Cache-misères artistiques et végétaux, ils sont aussi le fruit d’habitants qui combattent la morosité d’une ville devenue fantôme.
Amis urbains, vous êtes nombreux à vous plaindre des petits désagréments de votre ville : trop bruyante, pas assez propre, mal desservie… Puissiez-vous, à la lecture de cet article, la contempler avec un regard nouveau. Appréciez les charmes qu’elle dissimule, prenez conscience de sa valeur. Car votre ville, même imparfaite, tient debout.
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Ariane est née et a grandi sous le soleil des îles polynésiennes.
Elle a pas mal bourlingué depuis, a crapahuté de ferme en ferme en Nouvelle-Zélande, jusqu’à trainer sa bosse en Europe. Où elle essaye encore aujourd’hui de s’adapter aux mœurs locales.
A 23 ans, elle se demande bien quoi faire de ses dix doigts. Elle a bien un diplôme de journalisme sur le feu… Mais l’industrie médiatique la laisse de plus en plus sceptique. Ce qu’elle aime, c’est écrire, et voyager. Donnez-lui n’importe quel boulot, tant qu’elle combine écriture et voyage, elle sera partante.