L E O F A N Z I N E O Q U I O M E T O L A O C U L T U R E O E N O S A C H E T S

11.6.15

[GUEST] Why the Fuck? Pourquoi et comment regarde-t-on de la pornographie ? Partie 1

Le web à gorge profonde me fascine et provoque en moi un flot d’interrogations. Une immense partie de l'internet est peuplée de contenus pornographiques dont l’audience est énorme. Et même si j'évolue dans un milieu où parler de sexe est loin d'être tabou, je constate que dévoiler les méandres de ses visites en navigation cachée n'est pas toujours aisé. J’ai donc décidé de poser quelques questions autour de moi à travers un questionnaire en ligne afin de faire ma propre petite étude anthropologique maison.

POURQUOI ET COMMENT REGARDE-T-ON DE LA PORNOGRAPHIE? 
Partie 1
par Clitorine
Source : Actual Food Porn
Le questionnaire
J'y ai compilé toutes les questions qui me trottaient dans la caboche. A noter que pour simplifier, j'ai étendu la définition de la pornographie à tout contenu comportant des images de personnes nues. Vous pouvez le consulter et y participer en suivant ce lien, vos réponses serviront peut-être de matière à un nouvel article, qui sait ?
Au total, j'ai récolté pour ce papier 34 réponses qui se situent dans une tranche d'âge de 20 à 35 ans, dont 60% sont des femmes. Ce n'est pas faute d'avoir sollicité autant de mâles que de femelles, mais il faut croire que celles-ci étaient plus enclines à répondre. Outre cette inégalité de réponses, vous comprendrez que ces résultats ne sont pas représentatifs des pratiques majoritaires de la société. Cependant, ils permettent d’avoir un petit aperçu de la chose.
Concernant le public féminin, Pornhub estime que celui-ci représente environs 20% de son trafic. Dans mon questionnaire, sur les 20 réponses féminines, seules trois femmes ont indiqué qu’elles ne regardent pas de pornographie alors que tous les hommes en regardent. Cependant, quelques répondants masculins ont déclaré ne regarder que des photos érotiques. Premier revers aux clichés (lourdingues, certes) : ça leur arrive aussi de regarder des corps féminins dans des positions "lascives" [sic]. Quant aux meufs, elles en regardent aussi et ne semblent pas être minoritaires parmi leur genre. En faisant fi des personnes n’ayant pas répondu car ne se sentant pas concernées en tant que non spectatrices de porn (?), je dois avouer avoir été un peu surprise du grand nombre de réponses féminines positives, car même si de nos jours on peut assumer une sexualité active sans passer pour une prostituée ou une nymphomane, j'ai le sentiment que le visionnage de porn et donc la masturbation féminine sont encore des pratiques avouées seulement par les plus téméraires. De plus, les "films de cul" sont majoritairement réalisés par et pour la gent masculine.

Dans quel but ? Fréquence ? A quel moment ?
Contrairement aux vidéos de Norman, les vidéos pornographiques ont le but d’exciter sexuellement le spectateur et de l’amener sur la voie de la jouissance. J’ai interrogé mes cobayes sur ce sujet et, effectivement, la réponse "pour se masturber" a été cochée 25 fois, "par curiosité" 15 fois (il y a d’autres anthropologues dans la salle ?) et 7 fois "sans se masturber directement". Et une personne a indiqué en regarder en ayant des rapports.
Concernant la fréquence, 20% en regardent une fois par semaine, viennent ensuite "quelques fois par année" et "une fois par mois". Seules trois personnes interrogées en regardent tous les jours. D'après les réponses écrites et les commentaires, cette pratique n’est pas forcément régulière mais plutôt le fruit de phases. Le moment de la journée le plus propice pour ces voyages auto-érotiques est le soir, suivi de la nuit. Animaux nocturnes, donc. Quatre personnes disent même en regarder "la nuit en rentrant bourrés". Le temps consacré varie principalement entre 1 à 20 minutes (60% des réponses). Personne n'a indiqué y passer plus d'une heure.

Le climax
Comme vous le voyez sur le diagramme ci-dessous, 47% des cobayes déclarent atteindre le climax devant leur écran systématiquement, 30% jouissent parfois et 23% jamais. Fait intéressant, ce sont majoritairement les femmes qui n’atteignent pas l’orgasme (6 sur les 7 réponses) :
Selon ma perception, la pornographie sert d’aide à la stimulation sexuelle: pas besoin d'un "autre" pour assouvir son besoin, pas besoin d’imaginer, menu à la carte, gestion du temps solo et connaissance parfaite de son corps avec les années d’expériences pour une meilleure productivité... Et comme, en bonne protestante, j'ai fait depuis longtemps le constat que tout ce qui est trop facile d'accès ou trop grisant est également souvent néfaste ou moins agréable, je me suis demandée si les orgasmes stimulés par la main droite avec support visuel étaient différents, sous-entendant de moins bonne "qualité". Dans ce sens, parmi les répondants qui atteignent l’orgasme devant leur écrans, 65% déclarent qu'effectivement, il y a une différence (à noter qu'aucune différence parmi les genres ne ressort). Concernant la spécificité de cette différence, les deux réponses les plus cochées sont "moins intenses" et "plus courts" et celles-ci ont souvent été cochées ensemble. Mais pour un certain nombre, les climax sont "plus intenses" ou le mystérieux "autre". Seule une personne indique avoir des orgasmes plus longs.
Les résultats sont donc partagés. Mais une petite majorité sort du lot en qualifiant les orgasmes devant l’écran comme étant de moindre qualité (en supposant qu’un orgasme plus court est considéré comme moins bien). Quelqu’un a même carrément répondu que les orgasmes devant l’écran étaient "tout pourris". Bien évidemment, c’est impossible d’en faire une généralité car le climax dépend de multiples facteurs et change à chaque fois.

"Pornhub a bien été rajouté dans vos favoris"
Et ces fameux "supports visuels", où vont les gens pour en consulter ? Outre les supports papiers et à la télévision, quel est le type de site internet favori ? Les sites qui mélangent des vidéos amateurs et professionnels, les "tubes", sont les plus consultés au sein de mon échantillon (par près de 70% des répondants). Viennent ensuite les sites de photos érotiques, les Tumblr et "autres" qui remportent environ 20% des réponses chacun. Quelques cobayes mentionnaient également regarder du porn fait-maison, des sites de webcam, des sites professionnels (type "Brazzers"), des films à la télévision ou encore lire des récits érotiques. Je leur ai également demandé de décrire leur "parcours" de visionnage de porn. Certains mentionnent directement aller sur des sites de vidéos, parfois en passant plusieurs minutes pour chercher une bonne vidéo. D’autres, commencent plutôt par des photos érotiques puis terminent avec des vidéos. Quelques personnes ont écrit qu’ils y allaient plutôt de manière aléatoire.
Catégories
Et quelles sont les catégories les plus consultées ? Est-ce que mes cobayes consomment des vidéos "traditionnelles" ou sont-ils des adeptes de porn shemale sado-maso couverts de latex ? Cela va vous décevoir, seule une personne a indiqué regarder du porn shemale. Je vous laisser voir les résultats détaillés ci-dessous :
Les catégories de porno les plus consultées sont donc la "classique" copulation entre homme(s) et femme(s), entre femmes, des pratiques spécifiques, suivies de vidéos de masturbation, des gang bangs. Les mélanges de "catégories de personnes" remportent aussi pas mal de réponses.

#ebony #step-father #teen
Source: Broad City
Cette catégorisation des "types" de personnes (que ce soit selon leur origine ou leur couleur de peau) retient particulièrement mon attention et m’interpelle. Je perçois la pornographie comme étant un reflet de la société. Et je pense que les fantasmes évoluent en fonction des époques. Un rapport sexuel entre deux personnes de groupes d’individus différents (rassemblés par âge, par couleur de peau, par statut dans la hiérarchie...) me semble intemporel, mais il évolue en fonction des époques. Ainsi, le fantasme de la "maîtresse de maison s’envoyant en l’air avec son domestique" aurait disparu pour laisser place à d’autres transgressions fantasmées. Car on parle bien de transgression ici. A vous alors de décrypter les tabous et fantasmes sociaux qui se cachent derrière certaines vidéos. Comme par exemple une vidéo très populaire de l’actrice favorite sur Pornhub, Mia Khalifa, où elle fait un threesome avec (soi-disant) son copain et sa belle-mère (la nouvelle femme de son père donc, pas la mère de son copain), toutes deux voilées...
Somme toute, comme l’a décrit un des participants au sondage, l’imaginaire autour de la vidéo est parfois plus excitant que l’acte montré. Le lieu, l’ambiance ou justement le caractère transgressif du rapport devient plus émoustillant que de voir simplement un zizi dans une zézette.

P.O.V.
Mais que se passe-t-il dans les têtes des spectateurs devant une vidéo? Car en prime de certains corps gonflés à l'hélium dans les vidéos professionnelles, la cadence est souvent rapide et les pratiques sexuelles sont parfois abordées de manière plutôt abrupte. En définitive, on ne peut donc pas nier que la plupart des vidéos professionnelles sont assez loin de ce qui se passe réellement dans nos lits. C’est sûrement pour cette raison que le porno amateur a tant de succès.
J'ai alors interrogé mes cobayes : est-ce qu'ils s'imaginent eux-mêmes à la place des acteurs, imaginent-ils reproduire ces scènes avec quelqu'un ou sont-ils juste observateurs ? En majorité, 40% ne font pas le lien avec eux-mêmes, 30% imaginent faire les pratiques sexuelles qu'ils voient avec quelqu'un (fictif ou non) et 20% seulement s'imaginent à la place des acteurs.
Et dans l’aspect visuel qu'est-ce qui est le plus excitant dans une vidéo ou une photo à caractère pornographique ? Les seins qui bouncent et les pieds qui se tendent, ou c'est plutôt le concept général de voir un acte sexuel qui est grisant ?
Comme on peut le voir ci-dessous, c'est la dernière réponse qui remporte la palme. Cela semble confirmer le pouvoir de l’imaginaire qui accompagne le visuel.
Etant une question à choix multiples, la réponse "acte sexuel" est fréquemment accompagnée par "des personnes nues" et "un couple qui copule". Les différentes parties du corps jouent aussi un rôle important comme stimulant : seins, fesses et appareils génitaux. Toutefois, d'autres parties sont moins évoquées (mais où sont les fétichistes du nombril ?). Même s'il n'est pas rare de voir des seins ou des zizis dans notre quotidien, leur évocation n'a pas perdu de son pouvoir excitant.

Arrêter le porno ?
Après la vue de toutes ces anatomies en mouvement, il arrive d’en être un peu déboussolé car fréquemment des images que nous ne sommes pas prêts à voir s'offrent à nous. 90% des sondés déclarent en effet avoir déjà été choqués voire dégoûtés en visionnant du porn. Quant à un éventuel sentiment de honte ou de culpabilité, 30% disent l’avoir ressenti. A nouveau, en décryptant les réponses par genres, je n'ai pas relevé de différence. Avons-nous pour autant envie d'arrêter notre consommation de porn comme nombreux sont les fumeurs déclarant vouloir arrêter de fumer ? La moitié déclarent que oui. En discutant avec des proches, j’ai eu vent de cas masculins ayant décidé de stopper toute consommation de pornographie. Pour différentes raisons : l’effet annihilant sur ses propres fantasmes, parce que la réalité en est trop éloignée, dans une logique de peur d’être déçu IRL.

Résultats
En résumé, les résultats de mon questionnaire montrent que dans mon entourage, aussi bien des meufs que des garçons "consomment" du porn et ce à une fréquence relativement régulière, à petite dose (par tranche d'une vingtaine de minutes). Cela se fait plutôt en fin de journée pour la plupart des sondés, dans le but de s'exciter ou de se masturber mais parfois aussi simplement pour se distraire ou par curiosité. En effet, la majorité des répondants disent atteindre des orgasmes moins satisfaisants par le visionnage du porn. Enfin, la plupart des sondés vont sur des sites consacrés ou sur des flux type tumblr. Ils se déclarent excités à la vue de corps nus ou de parties génitales, de copulation, mais restent plutôt "traditionnels" dans les catégories indiquées dans mon sondage.
Source : Broad City

Porn positif
A défaut d’arrêter mes pérégrinations anthropologiques, j’espère voir la pornographie "mainstream" tendre vers quelque chose de plus réfléchi et moins abrupte. Malgré le nombre gigantesque de vidéos, je déplore le manque de diversité spécialement sur les sites "tubes". Car cette diversité des pratiques et préférences, c’est ce que j’ai particulièrement constaté avec ce questionnaire. Nous sommes sûrement nombreux à vouloir voir plus de porn décontracté, des rapports plus égalitaires entre les genres, des scénarios plus inventifs, un meilleur jeu d’acteur, bref, quelque chose de moins standardisé. C’est d’ailleurs ce que La Fête du Slip proposait à Lausanne il y a quelques mois. J’ai pu y découvrir sur grand écran, en compagnie une petite centaine de gens autour de moi, un groupe de filles baiser entre elles tout en se marrant (Queen Bee Empire (NSFW) de Tee Vee Diner), un couple réel à la sexualité très diversifiée (Bed Party de Shine Louise Houston) et encore une partie de jambe en l’air à la bibliothèque pendant les révisions (Do you find my feet suckable d’Erika Lust ).

A la vue du gigantisme du marché de la pornographie et de la multitude des goûts présents dans la nature, le potentiel créatif est énorme. A mon avis, il y aura à l'avenir un accroissement de spectatrices féminines (en tout cas de dialogue autour de la consommation féminine), ce qui devrait provoquer une réflexion de la part des producteurs. Je parlerai d’ailleurs de ce public dans un prochain article et le reste des réponses à mon sondage concernant l’opinion face à la pornographie y seront détaillées.