The Chap en croisière au Bassin à Flots
Johannes von Weizsäcker, Panos Ghikas, Keith Duncan
Si plus de personnes venaient voir The Chap en live, le groupe ferait un carton. Leurs concerts sont des moments à part où vous allez danser, rire des chorégraphies des garçons ou de leurs commentaires archi-ironiques, et vous dire que wow, putain, c'est tellement n'importe quoi comme son que c'est génial. La scène est le meilleur moyen d'appréhender la joyeuse bande, plus que leurs albums pas toujours accessibles à tout le monde. En attendant leur heure de gloire, ils accumulent les kilomètres sur les routes pour jouer devant des audiences trop petites pour leur talent, et ils répondent aussi à TEA.
INTERVIEW THE CHAP
TEA : Vous avez sorti un nouvel album cette année, We Are Nobody. Il sonne plus calme, moins fou que ceux d'avant, presque triste, qu'est ce qui s'est passé ?
Johannes (chant, guitare) : Tu sais, on a juste grandi, et c'est très triste. Non en fait on a fait quatre albums qui sont assez... bizarres ou au moins pour beaucoup de gens ça sonne bizarre, et même pour nous. Et on a voulu essayer quelque chose de nouveau. Nous nous sommes donnés des consignes : nous ne pouvons pas être ironiques, nous ne pouvons pas avoir d'arrangements chelous, des sons un peu fous, et ça doit ressembler de très près à de la pop. Nous voulions savoir si A, nous pouvions faire ça, et B, et si nous pouvions le faire, comment ça sonnerait, si The Chap fait un album sérieux.
Panos (basse) : Et puis j'enseigne à l'université, je suis prof de composition, et je leur donne des partitions de musique, et je leur fait des remarques, et ils doivent prendre en compte mes remarques. Et donc là, The Chap c'était les élèves, et le professeur c'était le public et l'industrie de la musique. On fait de plus en plus de compromis.
Donc c'était une sorte d'exercice ?
Keith (batterie) : Oui, mais je pense que tous nos albums étaient des exercices. Mais dans l'opposé.
Johannes : L’exercice des précédents albums c'était de faire quelque chose de complètement fucked up. Et je pense que nous étions assez doués pour ça. (rires) L'idée de départ de The Chap, c'était de faire quelque chose de très très mal. Et là pour le nouvel album on a essayé de faire l'opposé, en se disant qu'il y aurait peut être une chance pour que ça devienne encore plus mal.
Panos : Je pense que cet album aussi est mal, mais moins.
Panos : Je pense que cet album aussi est mal, mais moins.
Vous vous êtes autoproclammés "The most interesting failure in pop history", j'adore cette idée, mais pourquoi ?
Johannes : Parce que nous sommes A, vraiment intéressants, et B, nous avons échoué.
Keith : Nous sommes commercialement totalement ignorés.
Panos : Les gens font de la pop music pour réussir et avoir un public de plus en plus grand. Les gens font de leur mieux parce qu'ils veulent être populaires mais nous n'y arrivons pas, parce que les gens trouvent que notre musique euh... ce n'est pas pour eux.
Keith : Je pense que l'industrie est complètement fermée à quoi que ce soit d'intéressant. Donc à partir du moment où tu as un truc vraiment vraiment intéressant, tu es totalement bloqué commercialement. Personne ne va te passer sur Radio 1. Donc nous essayons de faire quelque chose de complètement original, et je pense que généralement, les personnes qui écoutent ça peuvent ne pas aimer, mais je pense que les gens qui viennent à nos concerts aiment vraiment ce que l'on fait, et ça veut dire qu'on pourrait avoir un succès commercial si l'industrie cherchait ce genre de choses, mais ils cherchent l'inverse.
Le succès commercial est SI important pour vous ?
Keith : Ce serait vraiment sympa de se faire de l'argent. (rires) Et ce serait vraiment sympa d'atteindre un public.
Panos : Je pense aussi que c'est parce qu'à côté de ça, on a d'autres boulots pour pouvoir se permettre de faire The Chap, et ce serait juste cool que ce qu'on fait pour The Chap nous rapporte cet argent, qu'il nous rembourse en quelque sorte.
Johannes : Et ce serait mieux que dans certaines villes, il n'y ait pas 50 mais 200 personnes qui viennent nous voir. Bon, ce n'est pas parce que ça ne va jamais arriver que l'on va arrêter The Chap, ce n'est pas un critère crucial, mais bon...
Les paroles de "Woop Woop", c'est ce qui vous attend si vous accédez à un succès commercial ?
Johannes : Pas vraiment. C'est juste un truc de pop archi classique.
Keith : Ça résume les clichés qu'on peut avoir.
Johannes : C'est un peu la figure ultime du Kurt Cobain et de pas mal d'autres mecs dans l'industrie musicale. La rock star est une figure tellement dramatique dans un sens, même si elle est fausse. Et j'aimais l'idée d'une chanson qui avait ce mythe très dramatique de la rock star qui descend et se tue à la fin avec ces paroles très précises, minimales, et ce ton neutre dans les voix.
Vous avez sorti l'année dernière un best of alors que vous aviez seulement quatre albums à votre actif, c'était une blague aussi ?
Keith : C'était surtout l'idée de notre label en fait. Ils nous ont dit que ce serait bien qu'on fasse ça, et qu'on avait plutôt intérêt à faire ce qu'ils nous demandaient. (rires)
Johannes : A l'époque on avait déjà fini notre dernier album et ils ont vu que c'était assez différent, alors ils se sont dit que ce serait bien d'avoir un truc à donner à la presse et aux gens pour dire "Eh regardez, c'est ce que ces mecs faisaient avant, et maintenant ils font ça".
Ce best of a aussi fait partie du classement Pitchfork des pires pochettes de l'année 2011...
(rires)
Johannes : Une autre belle réussite.
Keith : Oui et nous étions en bonne compagnie, il y avait des pochettes incroyables dans cette liste. Celle de Steven Tyler...
Vous aimiez vraiment votre pochette ?
Panos : Je l'adore, beaucoup beaucoup.
Keith : Au départ l'agence voulait utiliser cette pochette pour Well Done Europe, mais ça n'était pas... bon pour ça. Mais pour le best of c'était très sympa.
Panos : L'image c'est pour te préparer à ce que tu vas trouver dans le best of.
Vous espérez que la pochette du nouvel album soit dans la liste de cette année ?
Keith : Ça pourrait ouais. Certaines personnes se sont vraiment plaintes de cette image. Mais je ne la trouve pas horrible. Je pense que We Are The Best par contre est vraiment vraiment moche. Et We Are Nobody est...
Johannes : … Assez moche aussi.
Vous avez fait un album sérieux maintenant, mais vous vous amusez quand même encore ?
Johannes : Oui. Et on a bien aimé enregistrer cet album, parce que ça a été très rapide. Quand tu as des limites, ça t'aide à faire quelque chose beaucoup plus rapidement parce que tu peux perdre tellement de temps à explorer des possibilités quand tu n'as pas de limites. Et j'ai aimé le fait qu'on se dise "Ok, aujourd'hui on va faire une chanson, elle doit être finie ce soir". Dans les précédents albums, ça sonne genre "Ouais, on s'amuse trop", mais en fait c'était plutôt un casse tête, parce que nous avions plein d'idées différentes et on essayait de les assembler ensemble, des fois ça marchait, des fois non... Et c'était beaucoup de travail. Donc j'ai bien aimé travailler avec des limitations. Mais on ne va pas refaire ça, parce que c'est ennuyeux de faire la même chose encore. On a déjà des idées pour le prochain album, qui sera assez différent.
Et vous êtes toujours aussi ironiques et dans l’autodérision ?
Johannes, l'air fataliste : Oh... Je pense que l'ironie va revenir.
Keith : C'est ça le truc. On pensait qu'on était en train d'écrire des textes pas du tout ironiques, et après on les réécoutait et on se disait "Oh merde, on est encore plus ironiques qu'avant". (rires) On ne peut pas avoir l'air honnêtes.
Panos : Moi je pense que les gens qui ne nous connaissent pas ne peuvent pas savoir qu'on est ironiques. Et je pense qu'on fait beaucoup moins ironiques maintenant. Mais il faut qu'on se surveille, sinon... On est des personnes gentilles, mais on a des problèmes avec les gens.
Quel est le pire concert que vous ayez joué ?
Keith : Peut être le gangsta...
Panos : On a joué dans un lieu dans le sud de Londres, London Bridge. Le son était vraiment mauvais, et on s'est plaint, et on a réalisé petit à petit que l'endroit était géré par de la mafia du sud de Londres.
Johannes : Des mecs vraiment pas sympa.
Keith : Normalement tu imagines que quand la mafia gère un truc, ils choisissent des gens normaux pour l'ingé son, pas le mec qui est doué pour tuer des gens.
Panos : Et on se plaignait, et ils ont commencé à être agressifs, ils ne voulaient pas nous donner de l'eau... On a trouvé une banane gonflable géante dans les backstages et on l'a amenée sur scène, juste pour rire. Et là un mec m'a attaqué...
Keith : Ouais, le gérant du club est venu sur scène, devant le public, alors qu'on allait juste commencer à jouer, et il a commencé à taper Panos. "Rends moi ma putain de banane gonflable ou je vais te tuer" devant le public.
Panos : Et il le pensait vraiment.
Johannes : Et à la fin, quand il ne regardait pas, on a volé la banane. On a eu un peu peur qu'ils sachent où on habitait.
Keith : Quelques jours après, le mec qui avait organisé le concert m'a appelé et m'a dit "J'ai cette étrange question à vous poser : avez-vous vu une banane gonflable ?" Parce qu'ils en avaient besoin tous les soirs. Et il m'a dit "Si je ne trouve pas cette banane dans les deux prochaines heures, je suis super mal.", et je lui ai répondu "Oh je suis vraiment désolé d'apprendre ça, mais je n'ai aucune idée d'où est la banane dont tu parles".
Panos : Ce jour-là on a découvert qu'il y a certaines personnes dans le monde avec qui tu ne devrais jamais avoir affaire.
Vous tenez un blog sur votre tournée, où on peut apprendre par exemple que vous prenez des avions avec Ryanair...
Keith : Ouais.
Johannes : Je sais, c'est super intéressant. L'idée est d'écrire seulement des choses intéressantes. Parce qu'en tournée, il n'y a que des choses intéressantes qui se passent. Chaque minute est différente de celle d'avant.
Panos : A un moment tu es sur la route, et le moment d'après, tu es sur la route.
Keith : On n'a pas trop communiqué ces dix dernières années. A part sortir des albums. Alors on s'est dit qu'on allait essayer quelque chose. Je ne sais pas si ça intéresse les gens mais bon... (rires)
Si vous étiez une femme célèbre, qui seriez vous ?
Johannes : Margaret Thatcher... Non c'est pas une bonne en fait... Non en fait elle est pas si mal. C'est une personne si singulière. J'aimerais savoir ce que ça fait d'être elle. C'est tellement l'opposé de moi.
Panos : Je serais, c'est quoi son prénom déjà ? Jeanne Moreau.
Pensez-vous que Londres est une ville qui inspire ?
Johannes : Définitivement.
Keith : On vit à Berlin maintenant mais Londres... Tu te lèves le matin et tu es genre "Aaaaah ! Il faut que je fasse quelque chose maintenant ou je vais mourir. Il faut que je paye mon loyer, merde, putain... Ma vie est en train de disparaître sous mes yeux !" et Berlin c'est une ville où tu te lèves et tu fais "Hum... Qu'est ce que je vais faire demain ?". Ma théorie est que c'est bien de vivre à Londres quand tu as vingt ans, et c'est super de vivre à Berlin quand tu en as 30.
Johannes : C'est mieux de vivre à Londres pour te faire faire quelque chose. Je ne pense pas que The Chap existerait ainsi si on s'était rencontré ailleurs. Je pense que Londres nous a pas mal influencés. Parce que A, il y a tellement de choses qui se passent, c'est tellement cosmopolite – même si c'est un peu niais de dire ça, c'est vrai – musicalement c'est super excitant et B, c'est assez dur de vivre à Londres, si tu veux y rester, il faut t'assurer de faire quelque chose. Alors qu'à Berlin, il y a une chouette scène aussi, mais ce n'est pas une scène faite de personnes qui ont une pression sur eux. C'est juste trop facile de vivre à Berlin. Ils sont genre "Ouais, j'ai un projet de musique, mais c'est trop compliqué parce que je dois me réveiller à onze heures du mat' demain matin...", tu vois, et ils ont juste à payer 200 euros de loyer. Tu vois (rires). Et je déteste dire ça d'une super ville comme Berlin mais je pense qu'elle t'empêche de faire des trucs. C'est triste mais je pense que c'est vrai. En tout cas c'est le cas si tu n'as rien fait avant. C'est ce que Keith a dit, à 20 ans c'est bien d'être à Londres pour commencer un truc, et après tu peux déménager à Berlin pour continuer de faire ça. (rires)
Pour finir, vous avez une blague ?
Keith : Ta blague sur le champignon ?
Johannes : Elle n'est pas très drôle mais je l'adore.
Un homme va se promener dans la forêt et il voit un champignon, et il fait "Oh regarde, il y a un champignon", et le champignon dit : "Et alors ?".
Voilà. On m'a raconté cette blague quand j'avais genre six ans et je trouvais que c'était le truc le plus drôle du monde.