L E O F A N Z I N E O Q U I O M E T O L A O C U L T U R E O E N O S A C H E T S
Affichage des articles dont le libellé est interview. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est interview. Afficher tous les articles

23.11.14

"C'est mon ordinateur qui veut que je fasse de la dance music"

Dans le royaume du mp3, il reste encore des groupes qui conçoivent des albums comme un entier. Une jolie brique à poser sur l'édifice de sa carrière. Chez LIARS, la construction s'apparente à un mur en légo bigarrés, ou bien, à l'image de la pochette de leur dernier disque Mess, à une toile d'araignée faite de fils de toutes les couleurs qui partent dans toutes les directions. Lorsqu'on interviewait Foals, en 2010, on avait déjà discuté de cette étonnante capacité à se réinventer à chaque sortie. Et comme la TEAm a particulièrement aimé le très dansant dernier LP (Mess) (surtout l'enchaînement PARFAIT des deux premiers morceaux "Mask Maker"/"Vox tuned D.E.D"), l'opportunité d'en parler directement avec les intéressés était inratable. On s'est donc retrouvées face à Angus, le chanteur, pour parler d'albums concepts et d'un tas d'autres trucs. Plié en quatre pour se faire une place dans son fauteuil des minuscules loges de La Superette (à moins que ce soit un effet d'optique dû à la taille du personnage) Angus s'est montré plutôt bavard sur le sujet, tout en ne cachant pas son admiration pour d'autres groupes qui semblent faire de la musique, "just for the sake of it" (voir aussi  et ). 


INTERVIEW LIARS

Vous avez beaucoup dit que cet album avait été créé spontanément, par opposition au précédent, WIXIW, qui était très travaillé et marquait votre première expérience de composition avec des instruments électroniques. Est-ce que vous avez réellement réussi à vous lâcher suffisamment pour faire ce que vous aviez prévu ? Vous donnez l’impression d’un groupe très réfléchi, qui conceptualise chaque disque.
Oui, on a réussi, dans le sens où on s’est dit "si je fais quelque chose, alors ça va être sur l’album". On a fait exprès de ne pas s’accorder beaucoup de temps. On a essayé de se limiter à un mois... alors que la composition de l’album précédent nous avait pris près de trois ans. C’est vrai que ça n’était pas facile, il faut parfois se forcer à  "laisser aller". Mais c’était dans l’idée qu’on avait pour cet album et on a abouti à un résultat dont je suis personnellement très content.
Est-ce qu’il y a une réelle différence entre des groupes qui conceptualisent hyper leurs albums et d’autres qui, disons, composent en se bourrant la gueule dans un garage ?
Haha. Non, la plupart du temps quand je me prépare à composer un album, je préfère ne rien écouter pendant un moment. Pendant ces périodes, j’essaie de me couper totalement du reste. J’essaie de ne pas mater de films, de ne pas lire, j’essaie de me "stériliser" la tête d’une certaine manière. J'espère alors que ce que je crée vient vraiment de moi. Mais j'ai quand même l'impression que je suis facilement influençable. Par exemple si je suis dans ma voiture et qu’à la radio ils passent un truc débile, genre les Foo Fighters, alors j’aurai envie de faire une chanson avec de la guitare. C'est ce que j'essaie d'éviter.
Mais en termes de qualité, tu préfères de la musique qui a été pensée, conceptualisée, comme vos albums, ou bien plutôt de la musique que je qualifierais de plus directe, spontanée ?
Personnellement je suis plus intéressé par le concept. Ça dépend vraiment de ce que l’on recherche. Pour LIARS, j’aime concevoir chaque album comme une pièce à part, avec à chaque fois une manière différente d’appréhender notre travail. Parfois, ça me plairait effectivement bien qu’on soit "juste" un groupe de mecs bourrés dans un garage, mais ça ne nous correspond pas.
Donc pour vous, même le fait de rechercher à faire de la musique spontanément, c’est un concept en soi, pas un truc qui vient naturellement.
Oui, c’est ça. C’était l’idée derrière Mess. Parfois, on devient trop cérébral. Du coup, on a cherché à voir ce qui se passe quand on travaille avec les tripes et pas avec la tête.

29.7.14

"Le rigolo, c'est intéressant"

Voir Salut C’est Cool en concert, c'est une expérience sportive. Une fête dansante où l’on s’oublie. Un bal techno mené par quatre types qui expérimentent des choses sur le vif avec des objets divers (scotch, souffleuse à feuilles, cintres etc) ainsi qu’un public qui kiffe, connaît tout par cœur et saute partout, quitte à se faire jeter de scène trois fois d’affilée. La première fois qu’on les avait rencontrés, en 2012, on s’était essayées à une interview basée sur un magazine de voitures. Cette fois-ci, après plusieurs lives soldés par des hématomes à la pelle, on avait une autre idée en tête : faire une interview "sérieuse" du groupe. Inspirées par une récente discussion au sujet des performances (ou arnaques) scéniques de The Knife (avec rien que des gens qui dansent sur scène), on a discutaillé de l'art de faire un bon concert avec Martin, Louis, James et Vadim à La Cité. Bien qu'avant tout connus pour leurs créations diffusées sur internet, les mecs de Salut C'est Cool font aujourd'hui de plus en plus de lives devant un nombre croissant de gens très enthousiastes. Et leur esthétique les confronte en permanence à la question des limites de ce qui est communément pris au sérieux, ou non. 

INTERVIEW SALUT C'EST COOL
James (tous les portraits ont été faits et montés par Albertine)
TEA : Qu'est-ce que c'est pour vous un bon concert ? 
James : J’y pensais dernièrement, parce que ces temps on a eu l’occasion de voir pas mal de concerts. Avant on n’y allait pas tant que ça. On n’allait voir que des artistes qu’on aimait beaucoup. Maintenant on va aussi en voir d’autres. Je pense qu’un bon concert, c’est quand tu arrives à arrêter de penser au reste, à ce qu’il y a en dehors du concert.
Martin : Pas forcément. Parce que des fois le chanteur ou la chanteuse peut te faire penser à un truc.
Vadim : Mais ça fait encore partie du concert.
Martin : Oui, mais ça te fait penser à une chose qui est extérieure.
James : En fait je me rends compte que quand je vais à des concerts, je pense beaucoup à chez moi...
Martin : A la vaisselle qu’il te reste à faire ?
James : Ouais. Ça, du coup, ce n’est pas un bon concert.
Martin : Je pense qu’un concert qui n’est pas génial, c’est un concert où tu essaies de sympathiser et que tu te dis "bon allez, je vais regarder ce qui se passe avec les lumières". Mais du coup, ça peut aussi devenir un bon concert.
Louis : Un bon concert, c’est quand tu es à fond dedans.
Martin : Je crois aussi vachement en l’alchimie de groupe. Une espèce d’effet boule de neige qui commence quand quelqu’un fait "ouaiiiis".
Vadim : Ouais.
Martin : … et du coup tous les gens autour font "ouaiiiis".
James : Ouaiiiis !
Louis : Ouaiiiiis !

19.7.14

"J’aimerais dire au monde que j’ai vécu l’enfer et que j’en suis revenu."


 INTERVIEW CHARLES BRADLEY

Charles Bradley, c'est toute une histoire. Une sorte de conte de fées glauque, un rêve américain qui tarde trop à se réaliser, un essai sur les malheurs de la vie quand on est pauvre et noir aux États-Unis, une ode à la musique soul. C'est l'histoire d'un type qui se bat pour faire de la musique depuis son adolescence et n'acquiert une reconnaissance que lorsqu'il atteint la soixantaine, après des années et des années de galères et de drames. Des épreuves surmontées par une seule force, qu'il brandit haut et fort, souhaite partager à chaque note : son amour. Un parcours assez incroyable pour en faire un documentaire : Soul of America, sorti en 2012. Charles Bradley est de ces personnages aussi abîmés qu'attachants, ayant eu mille vies. Des artistes comme on en voit rarement, et qu'on peut croiser, un peu par hasard, une après-midi entre deux averses sur la presqu'île du Malsaucy, aux Eurockéennes.



L'homme se raconte, avec une voix tellement cassée qu'on se demande même comment il peut chanter. "Je suis un entertainer. J’adore ce que je fais. Je fais de la musique depuis que j’ai 14 ans. J’ai toujours aimé ça. Aujourd’hui, j’ai 65 ans." Sa passion pour la musique, il la doit à un homme en particulier, James Brown, qu'il commence à interpréter à son adolescence. Pendant des décennies, il l'imite sur scène, affublé d'une perruque, et reprend ses tubes, sous le pseudo "Black Velvet". "Je me souviens que ma sœur m’a emmené voir James Brown, c’était en 1964. Je pense que vous n’étiez pas encore nées (sourire). Il m’a retourné la tête, la scène était en feu, c’était tellement unique ! D’où venait cette soul ? C’était son cœur. Sa douleur. Il a trouvé une façon d’exprimer son âme dans la musique qu’il aimait. C’est une liberté qui vient de l’esprit. Il avait un esprit. C’est pour cela que j’adore James Brown. C’est véritablement un héros. Il s’est construit à partir de rien."

20.3.14

"Ce n'est pas facile d'aimer ce que je fais"


Depuis que nous avons lancé TEA, nous avons découvert une foule de choses bizarres. Vraiment. Si bien qu'on a fini par développer un certain goût pour l'anormalité (sans la connotation péjorative que l'on pourrait associer à ce terme). Et pourtant, on se laisse encore surprendre, et pas qu'un peu. Plus on creuse et plus on rencontre des personnages grandiosement barrés et franchement insaisissables. 

Prenez Le Ton Mité, par exemple. Le projet solo de McCloud Zicmuse (sic), un Américain à Bruxelles, est de prime abord assez déconcertant : une collection de mini chansons, à l'instrumentalisation aussi minimale que bricolée, avec de rares paroles à propos de la météo ou de la nourriture. Un homme qui va au bout de ses idées. J'ai rencontré le bonhomme place Flagey autour d'un verre. Il était charmant et riait comme un enfant. Je n'en attendais pas moins de sa part. 



INTERVIEW LE TON MITÉ

Je ne sais pas vraiment comment commencer cette interview en fait. Je pense que c’est parce que je ne sais pas comment te présenter. Je ne sais même pas comment dire en une phrase qui tu es. Qui es-tu ?
En une phrase, je ne sais pas, non. Je sais qui je suis, merci Dieu ! Mais si je devais penser à le dire en une seule phrase, il aurait fallu que tu me le demandes une semaine avant. Dans le contexte de l’interview, je suis interviewé comme un musicien. Sous ce contexte je serais sûrement interviewé en tant que Le Ton Mité, qui est mon projet solo. [pause] J’ai commencé à écrire un truc l’autre jour, ça s’appelle "le contre rock". Parce que le rock’n’roll est basé en quelque sorte sur la jeunesse éternelle. Et donc au final c’est toujours décevant à la fin parce qu’on fini par vieillir, ou notre corps ne peut pas rester jeune pour toujours... Je ne pense pas que je fais de la musique pour les vieux, mais je ne pense pas non plus être engagé dans l’esthétique rock’n’roll. Je l’ai été et je le serai à nouveau peut être. Mais ça semble être une déception certaine. C'est quelque chose qui promet l’orgasme éternel. Donc je ne suis pas anti rock, je ne veux pas détruire le rock, mais "contre rock", comme la contredanse. Une façon de dire que je suis en opposition avec quelque chose, mais que je ne veux pas que ça soit détruit. Je ne suis pas rock. Je suis "contre rock".

Tu es un Américain qui a déménagé en Europe et vit aujourd'hui à Bruxelles, pourquoi ?
J’ai loupé mon avion en 2006.
Vraiment ?
Je devais retourner aux Etats-Unis.
Et tu as raté ton avion et t’es dit que c’était un signe ?
Oui. (rires) J’ai loupé mon avion parce que j’ai loupé mon train qui allait à l’avion.
Ou alors tu l’as fait exprès ?
Disons que j’ai laissé faire. En fait, à l’époque j’étais à Bordeaux et j’ai vu un nuage dans le ciel qui était en forme de la côte ouest française, avec la Gironde et tout. Et je me suis dit "Ok, peut être que je devrais rester."

30.12.13

"Je ne suis pas une personne normale"

Il y a les gens qui font tout pour sembler bizarre, étudiant précisément leur allure, leur discours, leur style. Parce que le trop normal, le basique, n'a jamais été très vendeur dans le monde de l'art. Et puis il y a ceux qui sont bizarres naturellement. Qui vont tellement au bout de leurs idées, sans considération pour le regard de l'autre, qu'ils savent fasciner autant que déranger. Felix Kubin fait partie de cette seconde catégorie de personnes. En une trentaine d'années de carrière (alors qu'il n'a que quarante-quatre ans), l'Allemand est devenu une légende confidentielle, un personnage ignoré par beaucoup, mais reconnu voire vénéré par les amateurs de musique électronique expérimentale.
Felix Kubin est un personnage de roman de science-fiction à lui tout seul. Un héros déroutant et sympathique, à l'air toujours juvénile, brillant sur scène (son passage à Bruxelles en janvier dernier est un des meilleurs concerts qu'on ait pu voir cette année), doté d'un humour singulier et aux idées parfois difficiles à comprendre. On a pu le rencontrer début décembre, toujours en Belgique, avant un concert avec l'orchestre polonais Mitch&Mitch. Il était plus calme et terre à terre qu'on ne l'imaginait, mais ses propos ont quand même confirmé que Felix Kubin était tout sauf normal. En fait, il nous intrigue encore plus qu'avant.


INTERVIEW FELIX KUBIN

TEA : Tu rejoues à Bruxelles aujourd’hui, je t’ai déjà vu en janvier dernier et tu rejoues en début d’année prochaine. C’est pas mal, surtout pour quelqu’un qui ne tourne pas tant que ça en dehors d'Allemagne. Pourquoi Bruxelles ?
Felix Kubin : Je ne sais pas. Peut être que c’est quelque chose comme de l’amour. 
Quand tu avais joué en janvier, tu avais parlé de l’atomium… 
Oui mais je pense que le monument est seulement une expression de la mentalité. J’adore la mentalité des gens ici. C’est facile d’entrer en contact avec quelqu’un parce que… Comment l’expliquer… Il y a un certain humour noir ici et les gens ont une bonne connaissance de la culture en général, des films, de la musique, de la littérature. Ils sont très ouverts d’esprit, ils aiment les choses expérimentales, et je pense que c’est quelque chose qui me parle vraiment. 
Plus qu’en Allemagne ? 
Evidemment que je trouve des gens qui ont la même sensibilité que moi en Allemagne, il faut dire que c’est un pays beaucoup plus grand, donc c’est normal. Mais pas tellement à Hambourg en fait. J’ai quelques amis là-bas, mais mon travail est vraiment atypique par rapport aux autres choses qui s'y font. 
Alors pourquoi restes-tu dans cette ville ? 
Mmh, je partirai fort probablement un jour, mais dans ce cas, je quitterai Hambourg pour toujours je pense. Pour le moment j’ai un enfant là-bas, c’est pour ça que je reste. Mais sinon… Des fois ce n’est pas si mal si tu vis dans un environnement qui ne te correspond pas tout à fait, parce que tu dois te battre un peu. C’est mieux que d’être facilement accepté partout. 
Je suis allée à Hambourg récemment et j’ai trouvé que cette ville n’avait pas l’air si artistique. Il y avait des musées effectivement, mais je n’avais pas l’impression qu’il y ait une vraie scène soutenue, une vraie dynamique. Comme si Hambourg préférait rester célèbre davantage pour ses sex shops et prostituées. 
Oui. Tu as la bonne impression. Bon, parfois il y a de bonnes expositions. Et la ville d'Hambourg est connue pour être très ouverte à la culture en général. Mais la culture doit être faite par les gens eux-mêmes, et ils ont très peu d’argent pour faire ça. C’est une honte parce que la ville est très riche. Mais en matière de théâtre, ils sont plutôt bons, ils ont deux gros théâtres avec des budgets ok, pas le mieux, mais c’est ok.

10.12.13

"Les gens veulent à tout prix des histoires, même s'ils feraient mieux de se concentrer sur la musique"

A écouter les Crystal Stilts ou les voir en live, on imagine les cinq new-yorkais plutôt froids, ce qui va parfaitement avec leur musique sombre et leur chant abyssal qui font leur marque de fabrique depuis 2008. Sauf qu'en vrai, ils sont des plus sympathiques. Ils m'ont invitée au restaurant pour parler de leur troisième album passé plutôt inaperçu, du journalisme musical et de l'inspiration. Avant qu'ils ne jouent à la Maison des Musiques à Bruxelles et crèvent leur pneu.


INTERVIEW CRYSTAL STILTS

TEA : Pour commencer, je dois admettre que j’ai été assez surprise de voir que vous tourniez en ce moment, en fait je n’étais même pas au courant que vous aviez sorti un nouvel album. C’est normal ou c’est moi qui ne suis vraiment plus à la page ?
Brad Hargett (chant) : Oui, on a eu moins de presse. Notre label est américain et distribue dans le monde entier. Pour les deux premiers albums, on avait aussi un label au Royaume-Uni, donc je pense que c’est pour ça qu’on avait plus de presse en Europe alors.
JB Townsend (guitare) : On a quelqu’un censé s’occuper de la presse pour nous en Angleterre, mais c'est pas trop ça… Du coup on fait la promo par nous même, comme en freelance un peu.
Kyle Forester (claviers) : Je pense aussi que c’est normal quand tu sors ton troisième album…
Brad : Oui, ce n’est pas comme quand tu donnes une suite à ton tout premier album.
Vous pensez que les gens ont moins d’attentes ?
Andy Adler (basse) : Moins ? Je ne sais pas s’il y a moins d’attentes. Je pense juste qu’il y a moins de presse.
JB : Les gens de la presse ont besoin d’un angle, d’une histoire. Et c’est plus dur de trouver une histoire pour un groupe qui sort juste un troisième album. Ou alors il faudrait un truc de nerd du genre un album enregistré dans un château.
Kyle : Ouais, genre "Crystal Stils ont dépensé dix millions de dollars pour leur nouvel album" (rires)
Brad : Et puis on n’a pas vraiment de… pas de gimmick mais… On n’est pas incroyablement fous, on n’a pas vraiment d’intérêt médiatique.
JB : On fait juste de la musique.
Vous pensez que vous n’êtes pas un groupe assez excitant ?
JB : Non, c’est plus qu’on n’a pas d’histoire. Enfin si, on en a, mais personne n’a vraiment pris la peine de nous la demander. Nous ne parlons pas de nos problèmes, de nos drames, pour en faire de la pub.
Alors c’est quoi votre histoire que personne n’a jamais demandée ?
Andy : (rires) Il fallait t’attendre à ce que ce soit la question suivante, JB.
JB : Je ne sais pas. Nous avons tous des choses assez intéressantes dans notre vie dont on pourrait parler.
Kyle : Non et puis aussi on est sorti le même jour que le nouvel album de MGMT. Et eux ils ont une info : "Oh ils ont fait un premier album, et ils refusaient de jouer les singles en concert." Leur histoire est qu’ils détestent leur album célèbre. Ce qui est cool, enfin, au moins c’est la vérité. Bon c’est pas vraiment une histoire en fait, laisse moi réfléchir à un autre groupe…
JB : C’est comme le groupe Girls et sa grosse histoire sur ses parents qui étaient dans un culte. Mais bon, mes parents étaient aussi dans une sorte de culte, mon père est une espèce d’ancien missionnaire et ouais, big deal. Mais bon, c’est pas forcément de sa faute [à Christopher Owens de Girls, ndlr], c’est sûrement les journalistes, ils veulent à tout prix des histoires, même s’ils feraient mieux de se concentrer sur le disque. C’est ce que j’ai compris des médias.

4.12.13

"Au fond, il est impossible de renoncer à la nostalgie."

En temps normal, j'enregistre toutes mes interviews avec un vieil enregistreur cassette hérité de ma maman. Je l'aime bien, il fait un petit bruit rassurant quand il est en marche et le gros "clac" sur la bande à la fin de l'interrogatoire a quelque chose de très satisfaisant. Franchement désuet, l'outil suscite souvent des réflexions amusées de la part des groupes du genre "ça court plus les rues ce genre d'engin!" et parfois, j'ai même droit à un chapitre nostalgique sur les playlists qu'untel a façonné dans sa folle jeunesse. Avec son album Cabinet of Curiosities qui compile un tas d'instrument qu'on n'a plus tant l'habitude d'entendre de nos jours, Jacco Gardner semblait être le client parfait pour discuter face aux bobines usées de mon vieux clou d'enregistreur. Malheureusement, pile poil ce jour là, je n'avais plus de cassettes vierges à remplir de l'anglais parfait du jeune Hollandais. Ce sont donc les bobines virtuelles de mon téléphone qui ont déclenché une remarque nostalgique de la part du petit jardinier. Aaah qu'il était beau le passé! Nageant en plein dans la "rétromania" ambiante, Jacco nous a longuement entretenues de sa vision idéalisée des sixties. Bien moins timide que ce qu'il ne laisse paraître, il a pris le temps de répondre de façon réfléchie à toutes nos interrogations - que ce soit au sujet de sa collection d'orgues vintage ou de sa mascotte Fredrik. Aperçu de l'univers onirique d'un garçon le cul entre deux temps.

INTERVIEW JACCO GARDNER

TEA : Ta musique est clairement référencée sixties. D’ailleurs, tu cites souvent des groupes de cette époque en tant qu’influence. Il n’y a rien de bien en 2013 ?
Jacco Gardner : D'une certaine façon, oui. Mais ce que je considère comme de la bonne musique ne le sera pas forcément pour quelqu’un d’autre. J’aime beaucoup la musique qui excite l’imagination, qui transporte l’auditeur dans son propre univers et le détache de la réalité. La musique doit être marquée par différentes énergies. Toutes ces choses étaient très importantes dans les années soixante.
Tu penses que cet "esprit" a disparu avec le temps ?
C’est en train de revenir. Un certain nombre de nouveaux groupes sont inspirés par les sixties comme je le suis moi-même. Actuellement, il n’y a que peu de groupes qui font des choses qui sonnent radicalement "nouveau".
Si la plupart des groupes sonnent clairement référencés, c'est parce que tout a déjà été composé ?
Je ne sais pas. Je pense que la musique avait un sens différent dans les sixties. Malgré tout, je pense que l’inspiration qu’on en tire aujourd’hui est différente que celle de l’époque. Aujourd'hui, la musique combine le contexte actuel avec les inspirations des années soixante. Je ne pense pas que les groupes se contentent de copier le passé. Je pense au contraire qu’ils parviennent à faire des choses très nouvelles tout en étant très inspirés par les sixties.

4.10.13

"Les gens ils sont cons"


INTERVIEW PULKO

Il y a un an, une vidéo faisait le tour de la petite toile francophone. "33 Coups" - c'est le nom du morceau - montrait, sur fond d'images de mauvaise qualité de Bordeaux, deux rappeurs au flow bancal et aux paroles aussi explicites que "Dans la région Aquitaine / On te baise par centaines", "Il y avait un bossgo à la Japan Expo / La prochaine fois j'vais pécho"  ou encore "T'es en chien de chiennes / va sur les boulevards / Ou à la gare Saint Jean / C'est là qu'y a les putes / Trente euros la turlute / Je te jure que c'est vrai".
Une sorte d'hommage maladroit à la ville qui a provoqué l'hilarité générale, et donc le buzz. Certains y voyaient une blague, mais non, Arsenal 187, le collectif de Pulko et Nico, à l'origine du morceau, est tout à fait sérieux, et il y a plein d'autres morceaux de ce calibre.

On a voulu interviewer Pulko pour savoir qui il était vraiment, et ce que ça lui faisait d'être tourné en ridicule. Réponse, par Skype, de l'intéressé : il s'en fout, quand il buzze, il gagne de la thune. Ce grand gaillard de 26 ans qui vit à Pessac a même un message pour vous : il vous emmerde. 


TEA : Salut Pulko, qui es tu ? 
Pulko : Pendant un grand moment je disais que je suis un rappeur, à l’allure où ça va, vu que j’ai des clash avec What the Cut et SLG, je pense que je me considère plus comme un Youtuber aujourd’hui.
Pourquoi exactement ?
Ben un rappeur il est 100 % dans la musique, dans ses textes, et moi je me rends compte que ce qui m’intéresse c’est de faire du buzz (sourire).

30.5.13

"C'est de la musique qui passe dans les taxis ou dans les bus"

C'était notre première fois et c'était un peu spécial: on a fait une interview avec une interprète. L'histoire a commencé tout connement à travers une demande de rencontre avec Omar Souleyman à laquelle on nous a répondu que l'intéressé ne parle ni anglais, ni français, ni allemand. Pratique. Par chance, une syrienne disponible et sympathique a su remplir la tâche efficacement, et on lui a quand même un peu parlé, à cet Omar. Ou du moins fait comme si. Le truc bizarre, c'est qu'on a pu nous raconter n'importe quoi, on ne peut pas être sûres à 100% que c'était véritablement le propos. Traduites une première fois, les questions précédaient la réponse en syrien puis venait la réponse traduite… un processus long et laborieux pendant lequel il a parfois été difficile de ne pas perdre le fil tant notre interlocuteur était loquace ce jour là. Sacré contraste avec le minuscule homme renfrogné et taciturne qu'on avait vu débarquer dans son training adidas gris triste, ses éternelles lunettes de soleil, une clope au bec et une casquette vissée sur le crâne.


INTERVIEW OMAR SOULEYMAN

Assis dans les loges devant un bol de glace qui fondra tout au long de l’entretien, Omar nous accueille en compagnie de son attachée de presse. Elle vient des pays de l’est, rigole très fort et joue avec la lanière de ses sandales à talons vertigineux tout en commentant la conversation en anglais… l’association des deux énergumènes a de quoi surprendre. Quant à Rizan, le keybordiste inséparable de Souleyman, il fuit : "Il déteste les interviews, il trouve cela ennuyeux" nous informe la manageuse. Bon.

Omar Souleyman est un chanteur syrien. Originaire du nord du pays, près des frontières turques et irakiennes, il a débuté sa carrière comme chanteur dans des mariages. Pendant ce genre de cérémonie, les musiciens sont mandatés pour jouer de la musique populaire sur laquelle les convives dansent le "dabke". "C’est très intéressant de voir de quelle façon il interagi avec le public local, tout le monde bouge, même ceux qui ne dansent normalement jamais" commente l’attachée de presse. Bras dessus, bras dessous, en ligne, hommes et femmes exécutent des pas relativement compliqués tout en se déplaçant latéralement. Et ils tournent et ils dansent inlassablement des heures durant : "Il arrive que l’on joue pendant 8 heures en faisant seulement quelques pauses."

25.5.13

L'interview nicotine

A cause de l'interdiction de fumer dans les lieux publics, les accros au tabac se retrouvent à faire des choses extrêmement stupides, comme sortir dehors s'en griller une sous moins neuf degrés ou lors d'un déluge. C'est ainsi que j'ai dû interviewer Mac Demarco, fumeur notoire, dans le jardin du Botanique à Bruxelles, avec des rafales tellement fortes que mon Coca s'est envolé et mon dictaphone a davantage enregistré le bruit du vent que la voix du Canadien chouchou dont tout le monde s'est entiché depuis la sortie de son deuxième album. C'est trop dommage, parce que je n'ai pas pu tout retranscrire par écrit, à cause des "brr crr vrr" du fichier son. Voici donc ce qu'on a pu sauver d'une rencontre avec Mac Demarco début mai, avant qu'il ne fasse un concert complètement délirant où il aura abimé joyeusement ses chansons et fait un break d'une dizaine de minute. 

 photo macitw.jpg

INTERVIEW MAC DEMARCO

TEA : Salut, ça va ? 
Mac Demarco : Ouais, ça va. La tournée est ok. Ça fait un moment qu’on est sur la route maintenant. Je n’avais jamais fait une tournée à proprement parler avant ça, et là je voyage depuis septembre. C’était drôle, les premiers mois. Maintenant ça m’emmerde un peu. Mon corps me dit "Alleeez mec, arrêêêête". Mais je ne peux pas. 

Tu as l’air de très bien t’entendre avec les membres de ton groupe. 
Oui, on s’entend bien, on se connaît depuis longtemps. On jouait dans des groupes ensemble il y a cinq ou six ans de ça. Donc quand j’ai été signé chez Captured Tracks et ait dû faire des concerts, je leur ai demandé de me rejoindre et ils ont dit "bien sûr". 
Tu ne t’imaginais pas jouer seul tes chansons sur scène ?
Ça aurait été ennuyeux. C’est plus fun de le faire à la rock’n’roll que d’être tout seul.

Depuis que tu as sorti ton album, tout le monde t’aime, comment vis-tu ta nouvelle popularité ? 
Aha. Je pense que j’essaie d’apprécier ça le plus possible. Certains concerts sont un peu fous, quand il y a une trentaine de gamins qui te prennent en photo avec leurs téléphones. Mais bon. Non, c’est super. Des fois c’est un peu bizarre quand on marche dans une ville la journée et qu’un mec me dit "Yo mec, what’s up ?", mais ce sont juste des mecs normaux. 
Et ça ne te fait pas un peu peur des fois ? 
Si, c’est assez terrifiant.
Je me disais que le fait que tu blagues tout le temps et fasses le pitre était peut être une façon de te protéger ? 
Oui. Ça devient bizarre. Je suis dans cette position où avant je m’amusais juste et les gens captaient et se marraient. Mais maintenant les gamins le prennent très sérieusement. Ils vont au concert et espèrent que je crie des phrases drôles et percutantes, que je fasse des trucs comme dans mes vidéos. L’autre jour, c’était assez fucked up d’ailleurs. Il y avait un Australien qui a eu une crise de panique au concert, il a commencé à s’arracher les cheveux en criant "Tout va bien se passer, parce que Mac Demarco va encore jouer une autre chanson !". Et puis l’ambulance est arrivée, ils l’ont attaché sur un brancard. C’était la première fois que je me disais que, vraiment, y avait un truc qui n’allait pas. Donc si des choses comme ça continuent d’arriver, je vais commencer à flipper. 

27.3.13

"On a gazé le public avec du poppers"


Un soir de mars à Bruxelles. Alors qu'une tempête de neige de merde se pointe, je m'invite chez Elzo Durt dans son appartement près de la place Flagey. Je compte juste faire une petite interview, mais je sais pas, le temps passe vite, on cause de plein de trucs, il me fait écouter des cool groupes (j'ai enfin trouvé quelqu'un qui emploie plus souvent que moi les termes "cool" et "chouette"), et je me rends compte au bout d'un moment que ça fait trois heures que je suis là et que je devrais peut être le laisser tranquille bosser sur la pochette de l'album de La Femme, pour laquelle il a déjà accumulé trois nuits blanches. De cette rencontre, j'ai tiré treize pages word, et j'ai eu toutes les peines du monde à vous condenser cette discussion en un article un minimum assimilable que de toute façon vous ne lirez pas en entier parce que vous êtes des putains de flemmards. Mais ce mec a juste trop de trucs intéressants à dire, que ce soit sur son travail d'illustrateur, sur la musique, ou encore sur les soirées improbables qu'il a vécues. 

INTERVIEW ELZO DURT

Elzo Durt ne fait pas de musique, il a "chipoté à la batterie, mais genre vraiment chipoté". Pourtant, il a envahi sans que vous vous en rendiez compte votre paysage musical. Il a réalisé les pochettes d'une tripotée de groupes de Born Bad et autres formations de garage louables (genre l'EP de Thee Oh Sees avec l'écorché-soldat et les intestins roses derrière - une grande fierté personnelle). Il a aussi lancé le label Teenage Menopause, où sont sortis les derniers Scorpion Violente et JC Satan. Un mec qui a du goût et sait bien s'entourer.

Un style immédiatement reconnaissable
Vous distingueriez le travail d'Elzo Durt entre mille (ou peu s'en faut), ce qui étonne d'ailleurs pas mal l'intéressé "Y a pas grand monde qui fait ça. C'est assez bizarre parce que c'est tout con en fait, comme technique". Le Belge de trente-deux ans a une imagerie un peu morbide, à base de collages de vieilles gravures, de couleurs vives, où les parties du corps humain ont souvent une place très importante. Il ne dessine rien. "J'ai jamais été à l'aise avec le dessin, donc j'ai cherché d'autres moyens de m'exprimer. J'ai fini par trouver une façon de me sentir bien avec ce que je veux mettre sur papier".

Elzo Durt travaille avec de vieilles gravures ou des images de comics qu'il trouve dans les bouquins innombrables qui tapissent son appartement. Il se considère d'ailleurs comme "chineur" et avoue passer un temps fou à trouver les bonnes images pour tel ou tel projet. Ensuite, il les assemble et les colore sur Photoshop, ce qu'il compare à du sampling en musique. "Ça prend sûrement autant de temps qu’un mec qui va le dessiner lui-même. Mais bon, c’est pousser le truc justement le plus loin possible. Au début c’était beaucoup plus simple mais au fur et à mesure, j’affine ma technique. Là maintenant, si j’ai envie d’une ligne droite, je pourrais la dessiner, mais j’ai plus envie d’aller la chercher pour avoir les accrocs que je veux".

4.1.13

"Cyber-troubadours dans le pays du http"

Ce qui est bien avec internet, c'est que ça donne des idées super à des gens trop cools. C'est comme ça qu'il y a quelques années, des mecs ont publié la chanson "Ces Sentiments" - un tube d'amour aussi frais que le fromage.

De cette découverte ont découlé de multiples autres chansons aux sujets triviaux, des vidéos géniales (dont la désormais insortable "Allez Viens") des calendriers de l'avent et des jeux de pistes trop funs, sous la houlette du personnage arnaqueur Paul Compaoré. Complètement acquises à la cause de ces sympatiques garçons, on est allées à leur rencontre un soir de décembre pré-apocalyptique bien humide à Genève. Les circonstances on rendu la chose plus compliquée que ce qu'on pensait mais au final, l'aventure a bien collé avec l'absurdité hilarante de notre "groupe internet" préféré de l'Internet. Pour eux, on a même tenté une expérience bizarre pour un résultat pas très constructif. Que veux tu, c'était la voiture ou le jardinage. Alors Salut C'est Cool, ça bine?

INTERVIEW SALUT C'EST COOL

Ce soir là, il pleuvait sur nos tranches de pizzas lorsqu'on est sorties de la gare et on a commencé par se planquer dans un bar peuplé de meufs en bottes excessivement cuir et d'un sapin blanc clignotant. On y a eu tout le temps pour reformuler nos questions d'interview pompées dans le magazine Univers Land, un véritable bouillon de boue et de virilité tout-terraine (c'est ça l'expérience).

9.12.12

"Plus je vieillis, plus je suis paumé"

Les albums de The Soft Moon mettent tellement tout le monde d'accord que les médias se pressent pour rencontrer le Californien (encore un) Luis Vasquez. Du coup, les interviews, ça le connait. Il en a fait une vingtaine rien que lors de son dernier passage à Paris. Alors quand je l'ai retrouvé quelques jours plus tard à Bruxelles, il était hyper bien rôdé. Le garçon qui fait danser la mort est très courtois, c'est bien. Mais il t'expédie toutes les questions en onze minutes chrono quand on est habitué à faire des interviews qui durent plutôt une demie heure. Frustrant : il m'a eue. Mais comme il est concis, au final, il a facilité mon travail. Et s'est quand même dévoilé. Vous apprendrez plus bas que Luis Vasquez n'est pas du tout  en paix avec soi-même, qu'il croit que la musique est une force supérieure le contrôlant, et qu'il adore Catherine Ribeiro, ce qui prouve qu'il ne va pas très bien. 


INTERVIEW THE SOFT MOON

TEA : Il paraît que quand tu veux te mettre à composer, tu commences toujours par aller faire un tour au magasin pour t'acheter de l'alcool, c'est vrai ? 
Luis Vasquez : Parfois oui. Quand je veux être plus courageux ou plus émotif. Ça m'aide à me sentir plus profond. Et puis c'est drôle. 
Et tu le fais souvent ? 
Hmm. Ouais, assez. Je pense que c'est une tradition dans la musique de toute façon, quand tu es dans un groupe et que tu répètes. 
Oui, mais toi tu n'es pas dans un groupe, tu le fais tout seul. 
Ouais, ça fait un peu alcoolique (rires). C'est triste. 

J'ai lu que tu pensais que ton album serait moins sombre et moins violent que le précédent, tu as vraiment l'impression d'avoir réussi ? 
En fait non, je pense que c'est encore plus intense, plus puissant et plus dans l'émotion. C'est parce que je laisse les choses se produire naturellement. Avec l'album, je n'ai pas vraiment exercé de contrôle, j'ai juste laissé les choses venir. 
C'est comme si ce n'était pas toi qui contrôlait la musique, mais la musique qui te contrôlait. 
Oui, exactement. 
C'est pas un peu effrayant ? 
Hmm. Ouais, non. Je ne pense pas que ce soit effrayant. Je pense que c'est bizarre, d'écrire de la musique et ensuite penser "Qui a écrit ça ? Je n'ai pas fait cette chanson, quelqu'un d'autre l'a fait." C'est comme si quelque chose d'autre contrôlait ma tête. C'est très accidentel. Chaque chanson est une photographie qui capture un moment, c'est très spontané. Je ne décide rien à l'avance. 


30.11.12

"Je ne sais même pas comment jouer mes propres chansons"

Si vous avez suivi les épisodes précédents, vous savez que je me suis retrouvée à danser devant deux cent personnes sur scène avec Geneva Jacuzzi. Mais j'ai été embarquée dans cette aventure uniquement parce que je voulais interviewer la Californienne qui fait des chansons si bizarres et si catchy à la fois. On a fait l'entretien à la fin de la soirée, après le concert d'Ariel Pink et surtout après notre performance conceptuelle. A ce stade là, j'avais déjà décidé que Geneva Garvin était ma nouvelle meilleure amie imaginaire (j'en ai plein), parce qu'elle est complètement barrée et rigole tout le temps. Sauf qu'au fur et à mesure de ses réponses, je me suis rendue compte qu'elle n'était pas si joyeuse que ça. Elle est même ultra-critique envers son travail. Et en plus elle ne se trouve pas assez jolie alors elle n'a pas voulu que je prenne en photo sa tête. Le clown triste.


INTERVIEW GENEVA JACUZZI 

TEA : J'ai lu ta biographie sur ton site et euh, élevée par des témoins de Jéhovah et éduquée par des danseuses du ventre, sérieusement ? 
Geneva Garvin : (rires) Non c'est vrai. C'est à 100% vrai. C'est comme ça que je suis née. La famille de ma mère faisait partie des témoins de Jéhovah, et j'ai été élevée par ma mère. 
C'était pas chelou ? 
Si, bien sûr que c'est chelou. Tu dois sortir et aller frapper aux portes des inconnus et prêcher. Je pense que j'ai fait ça de quatre à dix-sept ans, et très régulièrement. Et puis je me suis faite virer de la religion donc... Et par rapport aux danseuses du ventre, c'est ma mère aussi. Elle est marrante, c'est une grande chrétienne mais à côté de ça c'est une danseuse du ventre, ce qui est une drôle de contradiction. Elle est très forte pour faire accepter ça. Elle dit que c'est seulement une forme d'art, innocente et nin nin nin (elle prend une voix plus aiguë, pour imiter sa mère). Elle ignore complètement que ça a un rapport avec les prostituées et tout ça...
Et tu penses que cette enfance a eu une grande influence dans ce que tu fais aujourd'hui ? 
Ouais. Je regarde mes signes astrologiques, et ils sont toujours en contradiction. Parce que je suis techniquement un cancer, mais quand tu fais mon horoscope je suis un lion, parce que je suis née le jour où les signes changent. Et si tu fais mon horoscope par rapport au temps et tous les détails, tu te rends compte que je ne suis pas un cancer, mais un lion. Donc je suis un lion, ce qui est complètement l'opposé du cancer, j'ai cette opposition bipolaire. 

25.11.12

Mais que va devenir le pauvre Ariel Pink ?

Il paraît qu'interviewer Ariel Pink n'est pas souvent facile. Le garçon est champion pour déstabiliser les journalistes, voire être imbuvable, et sortir des réponses pas toujours en accord avec la question de départ. Je peux donc m'estimer heureuse, quand je l'ai rencontré dans les loges de TRIX à Anvers, il était plutôt gentil avec moi. Mais il était tellement énervé à propos d'une histoire de poursuite judiciaire qu'il n'a fait que parler de ça et a fini par me saper le moral. 


INTERVIEW ARIEL PINK 

Au début, je commence par des questions un peu banales, histoire de le mettre en jambe. Mais on sent qu'il n'est pas là. En essayant de parler de sa création aussi géniale que stupide avec R. Stevie Moore, Ku Klux Glam (qu'on avait pu voir à la Villette Sonique cet été), il ne dit pas grand chose. Si ce n'est ce que l'on savait déjà plus ou moins. "J'avais fait la promesse à R. Stevie Moore, il y a un moment déjà, que je ferai tout mon possible pour que personne n'oublie son nom. Parce que c'est le seul artiste qui a été aussi négligé alors que c'est un génie évident." Il aimerait avoir le même genre de carrière que ce vieux barbu, mais avoir plus de succès. Parce que le succès est nécessaire, parce que l'on vit dans un monde capitaliste. "Call me communist". 

Il évoque aussi l'enregistrement douloureux de son avant dernier album, Before Today (2010), celui qui l'a enfin sorti de la sphère underground californienne où il évoluait depuis 1996. C'était la première fois qu'il travaillait en studio, avec un groupe, et aussi un producteur. Et les deux dernières parties ne se sont pas du tout entendues. Tellement qu'Ariel Pink a dû séparer le groupe à un moment. "Tout le monde autour de moi se comportait comme une petite amie jalouse". Alors, pour son nouveau disque (Mature Themes), il a décidé que ce serait seulement le Haunted Graffiti, sans producteur. 


19.11.12

"Quand on va rentrer chez nous, on va redevenir super pauvres"


INTERVIEW HOLOGRAMS
Je sais pas trop comment ça se fait, mais samedi il y avait Holograms qui jouaient dans une sorte de MJC en Flandre. Une salle plutôt chouette mais dans un endroit vraiment déprimant. On a quand même fait le déplacement parce que bon, Holograms ont fait un des meilleurs albums de cette année. Le concert était vraiment cool, ils jouaient super faux. J'ai retrouvé les quatre Suédois juste après. Malgré leurs allures de hooligans, ils sont très gentils. Ils m'ont parlé de comment c'est trop la merde en Suède quand t'as pas d'argent. Les pauvres garçons galèrent tellement qu'on lancerait presque un appel à donation pour eux. À vot' bon coeur. 



TEA : Il y a ce cliché inhérent à la musique scandinave, où tous les groupes font de l'indie folk rock où tout est gentil et mignon. Et c'est chouette parce que vous brisez complètement cette idée fausse que l'on se fait de la scène musicale de Stockholm. 
Anton Spetze (guitare / chant ) : Vas-y, donne des exemples. 
Andreas Lagerström (basse / chant) : C'est assez vrai en même temps. 
TEA : Je sais pas, genre Jens Lekman ou des conneries du genre. 
Andreas : Ouais il est nul. 
Anton Sp : C'est un cliché, c'est ce qui s'exporte à l'étranger. Mais je pense pas qu'il y ait beaucoup de groupes comme nous en Suède non plus. 

TEA : On a aussi le cliché que tout est parfait en Suède. Les hommes et les femmes sont égaux, les gens portent des fringues de designers, et tout le monde habite dans des maisons super belles avec des meubles Ikea. Le paradis quoi. 
Anton Strandberg (batterie) : Oh c'est vrai pour les fringues de designers. C'est plutôt vrai. 
Anton Sp : Ça sonne comme une société plutôt cool.

14.11.12

"Le rap s'est imposé à moi comme une évidence"

Je suis nulle en rap, je n'y connais rien et puis je me fais facilement embobiner. C'est le cas pour 1995 par exemple : il y a quelques mois je jetais une oreille amusée à "La Flemme" parce que oui moi aussi et hop, s'enchaînent "Le Milliardaire" et autres "Rénégats" en mode replay sur ma playlist sobrement intitulée "peura frouze". Prise au piège par de prétendus usurpateurs d'un esprit auquel je ne connais rien ou séduite par des as de la rime qui remettent au goût du jour un flow qu'on croyait perdu? Je n'en sais rien, je n'en ai cure. 1995 c'est cool pour shaker son boule, point. C'est tout ce que je demande. Pour se laisser aller pleinement au vice il a donc absolument fallu les voir en vrai, en concert, et même de près, dans une tentative d'interview un peu vaine. On y a sagement écouté les blagues des branleurs (pardon mais quand même) fatigués étalés sur leurs canapés. Sans rancune, la prestation scénique hyper enjouée quelques heures plus tard a fait passer la pilule comme une lettre à la poste. A partir de maintenant TEA se lance dans le rap. On n'a pas fini d'être étonnées.

(Nekfeu, Alpha Wann, Sneazzy, Areno Jazz, manquent DJ Lo et Fonky Flav)

INTERVIEW 1995

Premier constat dès l'arrivée à Fri-Son: 1-9-9-5 a des fans bien hardcore. Non mais sérieux, on n'avait plus vu de pique-niqueurs de quinze ans depuis qu'on avait nous même quinze ans. C'est un peu flippant mais bon, pas le temps de grignoter du Babybel sur le trottoir humide : le groupe nous attend, et il est ponctuel (ça aussi c'est flippant, et pourtant c'est vrai).
On entre, on serre des pinces, on surprend Areno Jazz au sortir de la douche (mais ouais salut) et, au final, on a droit à Nekfeu et Alpha Wann pour l'interview. Cool. Les 3 derniers membres du groupe sont réquisitionnés dans une autre pièce pour un entretien radio des plus expéditifs. Le cadre posé, chacun des six étalons est est calé dans son box et on peut commencer : 

Messieurs les faiseurs de "musique de langue", comment cultivez-vous votre verbe? Vous lisez? (Peu ou prou). L'affirmation fuse, puis on se fait plus nuancé; ils lisent, certes, lisaient surtout. Aujourd'hui c'est le rap qui accapare la langue, le temps et l'esprit. Ils citent tout de même des favoris qui nous étonnent: genre Tolstoï "Guerre et Paix" pour Nekfeu ou "Le Prince" de Machiavel lu par Alpha Wann. Ca fait un peu poseur pour des types qui se gardent bien d'affirmer des positions politiques nettes dans leurs textes. Mais en fait, selon eux, la lecture a surtout forgé un certain vocabulaire aujourd'hui prêt à l'emploi dans leur rap. Pour illustrer, Nekfeu parle d'une espèce d'effet "casino" où les mots défilent dans sa tête comme sur une machine à sous pour compléter ses phrases. Ok.

7.10.12

"Nous sommes tous des petites fleurs"

Ironie du sort, il aura fallu attendre que je quitte l'Aquitaine pour rencontrer les Strange Hands. Un super groupe de garage psyché bordelais dont on avait déjà dit énormément de bien, parce qu'on a tendance à penser qu'ils sont au-dessus du lot. Ils ont joué deux soirs à Bruxelles la semaine dernière (un raté et un bien chouette) et en ont profité pour boire des bières chez moi. 

INTERVIEW : STRANGE HANDS 

TEA : C'est pas un peu trop facile de faire du garage quand on est un groupe bordelais ?
Lucas (guitare, chant) : Aha, c'est pas facile c'est juste évident quoi.
Melvyn (claviers, basse) : Ça dépend parce que y a un tas de groupes de merde à Bordeaux qui font pas du garage. Je dis pas que y a que le garage qui est bien. Y a aussi plein d'autres musiques qui sont bien, mais les gens font de la merde. On entend juste plus parler du garage, c'est tout. Ou alors on est plus dedans, simplement.
Victor (batterie) : Y a aussi des groupes de pop horrible. Ou même du funk, je sais pas. J'ai un pote qui joue dans un truc comme ça, c'est affreux.
Melvyn : C'est pas si évident.
Lucas : Oui justement, tu dois te différencier vu que y a pas mal de groupes de garage.
Melvyn : Je sais pas si on fait un truc si différent.
Lucas : Bah quand tu vois genre les Magnetix, on fait pas comme eux.
Vous devez forcément avoir l'impression de faire quelque chose de différent...
Melvyn : Oui sinon on continuerait pas. Au début on faisait vachement de sixties, et on essaie d'être de moins en moins comme ça. Ne serait-ce qu'au niveau sonore, on essaie d'avoir plus de grain et de jouer plus fort.
Ouais, vous avez changé. Sur votre album [Dead Flowers, sorti au printemps], vous faites moins sales gosses qu'avant.
Victor : Ah bon ?
Lucas : C'est vrai que le 45 il est un peu bâtard quand même hein. Les chansons sont bien genre "Eh, on t'emmerde, connard !". (rires)
Melvyn : Mais sinon c'est pas évident parce qu'en ce moment à Bordeaux on sait pas où répéter. Faut payer vachement.
Victor : Avant on avait le Boogaloo, ça fait un moment que ça a fermé maintenant. Mais y a pas tant d'endroits, de caves où tu peux répéter.
Melvyn : L'année dernière on avait chopé une cave sauf qu'on l'a rendue parce qu'elle était trop humide. Du coup c'est un peu la galère pour tous les groupes de Bordeaux.
Lucas : Le Boogaloo c'était une super salle vers Victoire. Y avait les Magnetix qui répétaient là-bas, Meatards, nous, les Weakends, tous les groupes de garage pour le coup étaient là-bas.

27.6.12

"Ce que nous faisons là, personne ne l'a fait avant nous"


INTERVIEW DIE SELEKTION

Franchement, je n'ai pas attendu Merkozy pour m'intéresser à ce qui se trame en Allemagne. En fait, il suffit qu'on me dise qu'un groupe est teuton pour que je tende l'oreille avec plus d'attention, un peu comme quand j'apprends qu'un mec en soirée est suédois. Die Selektion est un trio allemand, mais ce n'est pas (seulement) ça qui en fait un groupe intéressant. Comme ils passaient à Paris le premier juin, j'en ai profité pour les rencontrer assis sur le trottoir devant la Mécanique Ondulatoire, histoire qu'on parle un peu plus de leur travail et que je leur montre mes folles aptitudes dans la langue de Goethe ("Ich esse gern Nudeln. Ja klar.").



Nous vous avions déjà dit du bien de leur new wave sombre mit Trompete et paroles scandées en mars de l'année dernière. A l'époque, le groupe sortait son premier EP, Kühle Lippen, seulement trois mois après s'être formés. Parce qu'ils sont comme ça, ces trois mecs de Stuttgart, un jour ils se disent que ce serait bien qu'ils jouent ensemble puisqu'ils sont amis depuis le collège, et le lendemain ils sortent un truc. C'est aussi simple que cela. "Toi tu ferais un bon frontman, toi tu sais jouer de la trompette, et moi j'aime les synthés". En neuf mois, ils ont visité du pays, eu des embrouilles en Italie, et accouché d'un bébé éponyme de douze titres. Ah, et ils veulent en faire un nouveau pour début 2013. Et pourtant, ils vous diront que le processus d'écriture est super compliqué pour eux et qu'ils s'arrachent régulièrement les cheveux, ou ce qu'il leur en reste sur leurs cranes rasés sur les côtés.

1.4.12

"Nous chantons comme des poulets"

Peter Kernel n'existe pas, c'est un groupe. Il est tessinois (une région italophone au sud de la Suisse) et elle est canadienne. A la manière de Betty Bossi, ils ont choisi un nom de personnage fictif pour labelliser leurs créations. Parmi lesquelles, cette musique qu'ils qualifient d'"art-punk", soit un bon coup de pied dans les fesses de auditeurs blasés qui pensent que la musique suisse est ennuyeuse. Lors de leur passage à Fri-Son vendredi dernier, on les a rencontrés pour discuter et rire (beaucoup). Ils ont ensuite bien profité du distributeur de bières des backstages avant de livrer un concert énervé comme on les aime. Une prestation marquée par la complicité entre la chanteuse et le guitariste sautillant ainsi qu'un bel esprit punk.

INTERVIEW PETER KERNEL

TEA : Commençons par clarifier un peu le line up du groupe. La dernière fois qu'on vous a vus, vous aviez un batteur avec des dreads (vraiment) et là vous n'êtes que deux. Comment ça se fait?
Aris: A la base, on a essayé de créer un vrai groupe, pas un duo. Mais comme nous sommes un couple dans la vraie vie, pour nous c'est très facile d'agender des concerts et des répèts. Les autres musiciens, en revanche, ont leurs propres familles, leurs propres boulots, on a de la peine à s'arranger.
Vous pourriez faire un couple à trois.
Barbara: On a essayé mais je ne crois pas que Ema s'intéresse à moi. Il aime bien Aris par contre (rires). En fait je pense que si on lui proposait, sa femme ne serait pas très contente.
Aris: Finalement nous avons opté pour une autre solution: Peter Kernel, c'est juste nous deux, et puis nous avons 2-3 amis qui se relaient à la batterie, en fonction de leurs disponibilités.
Barbara: Sur le premier album toutefois (How To Perform A Funeral, ndlr), nous étions quatre. Deux couples en fait. Mais la guitariste et le batteur ont rompu, puis ils ont quitté le groupe.
Et si vous vous séparez, il n'y aura plus de Peter Kernel?
Aris: Je ne sais pas. Je me suis déjà posé la question mais sérieusement, je sais pas. Peut-être qu'on peut continuer à faire de la musique tout en se disputant tout le temps.
Barbara: On pourrait être des lutteurs.
Aris: De toute façon on se dispute déjà tous les jours.
Barbara: On se dispute seulement à propos de Grégoire (leur batteur ce soir là, ndlr).