C'était notre première fois et c'était un peu spécial: on a fait une interview avec une interprète. L'histoire a commencé tout connement à travers une demande de rencontre avec Omar Souleyman à laquelle on nous a répondu que l'intéressé ne parle ni anglais, ni français, ni allemand. Pratique. Par chance, une syrienne disponible et sympathique a su remplir la tâche efficacement, et on lui a quand même un peu parlé, à cet Omar. Ou du moins fait comme si. Le truc bizarre, c'est qu'on a pu nous raconter n'importe quoi, on ne peut pas être sûres à 100% que c'était véritablement le propos. Traduites une première fois, les questions précédaient la réponse en syrien puis venait la réponse traduite… un processus long et laborieux pendant lequel il a parfois été difficile de ne pas perdre le fil tant notre interlocuteur était loquace ce jour là. Sacré contraste avec le minuscule homme renfrogné et taciturne qu'on avait vu débarquer dans son training adidas gris triste, ses éternelles lunettes de soleil, une clope au bec et une casquette vissée sur le crâne.
INTERVIEW OMAR SOULEYMAN
Assis dans les loges devant un bol de glace qui fondra tout au long de l’entretien, Omar nous accueille en compagnie de son attachée de presse. Elle vient des pays de l’est, rigole très fort et joue avec la lanière de ses sandales à talons vertigineux tout en commentant la conversation en anglais… l’association des deux énergumènes a de quoi surprendre. Quant à Rizan, le keybordiste inséparable de Souleyman, il fuit : "Il déteste les interviews, il trouve cela ennuyeux" nous informe la manageuse. Bon.
Omar Souleyman est un chanteur syrien. Originaire du nord du pays, près des frontières turques et irakiennes, il a débuté sa carrière comme chanteur dans des mariages. Pendant ce genre de cérémonie, les musiciens sont mandatés pour jouer de la musique populaire sur laquelle les convives dansent le "dabke". "C’est très intéressant de voir de quelle façon il interagi avec le public local, tout le monde bouge, même ceux qui ne dansent normalement jamais" commente l’attachée de presse. Bras dessus, bras dessous, en ligne, hommes et femmes exécutent des pas relativement compliqués tout en se déplaçant latéralement. Et ils tournent et ils dansent inlassablement des heures durant : "Il arrive que l’on joue pendant 8 heures en faisant seulement quelques pauses."
De chanteur pour les mariages, Omar Souleyman a muté en une espèce de sensation indie à partir du milieu des années 2000. Exporté de la péninsule arabe grâce à internet et à sa signature sur le label américain Sublime Frequencies, le chanteur s’est depuis mis à tourner partout dans le monde. "J’ai eu la chance de rencontrer la bonne personne. Cette carrière comme celle des autres chanteurs, c’est avant tout une question de chance" affirme-t-il. Mais il s’estime aussi méritant "J’ai été le premier à faire ce style de musique" revendique-t-il. "Ma particularité c’est que je mélange des styles de différentes origines : syriennes, turques, iraquiennes".
Résultat de ce fameux mélange: une sorte de fouilli de sonorités "arabes" et de percussions distillés aux synthétiseurs, agrémentés de sa voix éraillée comme une tronçonneuse. Impossible de rester impassible et les petits blancs en redemandent. "Au début, c'était terrifiant de présenter sa culture à des gens qui ne comprennent pas ce que je chante. Je me demandais si le courant allait passer. Mais l'accueil très positif a été encourageant.". Les gens réagissent-ils très différemment en occident? "Ici, on ne comprend pas mes paroles et c'est dommage, car ce sont des chansons d'amour. Mais l'ensemble est harmonieux et parle à tout le monde. Je reste fidèle à ma façon de chanter dans tous les cas.". Ce ne sont pas ses collaborations avec Damon Albarn ou Björk qui le dévieront de sa voie.
Résultat de ce fameux mélange: une sorte de fouilli de sonorités "arabes" et de percussions distillés aux synthétiseurs, agrémentés de sa voix éraillée comme une tronçonneuse. Impossible de rester impassible et les petits blancs en redemandent. "Au début, c'était terrifiant de présenter sa culture à des gens qui ne comprennent pas ce que je chante. Je me demandais si le courant allait passer. Mais l'accueil très positif a été encourageant.". Les gens réagissent-ils très différemment en occident? "Ici, on ne comprend pas mes paroles et c'est dommage, car ce sont des chansons d'amour. Mais l'ensemble est harmonieux et parle à tout le monde. Je reste fidèle à ma façon de chanter dans tous les cas.". Ce ne sont pas ses collaborations avec Damon Albarn ou Björk qui le dévieront de sa voie.
Pourtant, comble de l'exotisme pour les naïfs occidentaux que nous sommes, la musique d'Omar Souleyman parait plutôt "populaire" et "sans grand intérêt" aux syriennes avec qui nous avons parlé: "C'est de la musique qui passe dans les taxis ou dans les bus". En fait, il semblerait qu’auprès des Syriens, ce sont les artistes plus traditionnels (tels Fairouz, Wael Kfoury ou encore Assi al Helani) qui font recette. Beaucoup de productions libanaises monopolisent le paysage sonore. "Il n'y a pas de scène syrienne au même sens que l'on peut avoir une scène musicale en Europe" signale à ce propos la manageuse d'Omar. La situation n'a d'ailleurs pas l'air de satisfaire pleinement l'artiste: "En Syrie, il n'y a pas de droit d'auteur. N'importe qui peut copier ma musique.". Mais n'est-ce pas justement grâce au trafic de cassettes au noir qu'il s'est fait connaître à ses débuts? "Où est-ce que vous avez lu ça? N'importe qui peut prendre une cassette, la copier et la revendre. Voilà ce qui s'est passé.".
Plutôt sûr de lui, Omar Souleyman n'a manifestement pas envie de discuter de sa musique autrement qu'en des termes élogieux. On s'interroge alors sur sa robe de bédouin, qu'il porte au quotidien, sauf quand il est en tournée pour ne pas trop attirer l'attention. Et ses lunettes, dont il ne sépare jamais en raison d'un accident dans sa jeunesse. Dans les loges comme sur scène, un peu distant mais sympathique, Omar Souleyman c'est aussi une attitude.
Près de 45 minutes plus tard, la glace de nos interlocuteurs ressemble à une flaque jaune au fond des bols, et l’ambiance s’est graduellement détendue. Omar a même ri, beaucoup, de sa propre blague: "C'est l'histoire d'un pauvre type qui a des chèvres. Il essaie de les vendre pour pouvoir se casser de son bled et quand il y arrive il prend l'avion. Une fois dans l'avion, on lui annonce qu'il y a un problème avec la roue et on le désigne pour réparer la chose alors il va changer la roue. L'expérience le traumatise alors il décide de rentrer chez lui, sauf que de retour dans son village, il remarque que la maison de son père a été écrasée par la roue de l'avion et le voilà orphelin.". Gore. "Il n'a vraiment pas eu de chance" insiste Omar. Tout son contraire en somme.