Voir Salut C’est Cool en concert, c'est une expérience sportive. Une fête dansante où l’on s’oublie. Un bal techno mené par quatre types qui expérimentent des choses sur le vif avec des objets divers (scotch, souffleuse à feuilles, cintres etc) ainsi qu’un public qui kiffe, connaît tout par cœur et saute partout, quitte à se faire jeter de scène trois fois d’affilée. La première fois qu’on les avait rencontrés, en 2012, on s’était essayées à une interview basée sur un magazine de voitures. Cette fois-ci, après plusieurs lives soldés par des hématomes à la pelle, on avait une autre idée en tête : faire une interview "sérieuse" du groupe. Inspirées par une récente discussion au sujet des performances (ou arnaques) scéniques de The Knife (avec rien que des gens qui dansent sur scène), on a discutaillé de l'art de faire un bon concert avec Martin, Louis, James et Vadim à La Cité. Bien qu'avant tout connus pour leurs créations diffusées sur internet, les mecs de Salut C'est Cool font aujourd'hui de plus en plus de lives devant un nombre croissant de gens très enthousiastes. Et leur esthétique les confronte en permanence à la question des limites de ce qui est communément pris au sérieux, ou non.
INTERVIEW SALUT C'EST COOL
James (tous les portraits ont été faits et montés par Albertine) |
TEA : Qu'est-ce que c'est pour vous un bon concert ?
James : J’y pensais dernièrement, parce que ces temps on a eu l’occasion de voir pas mal de concerts. Avant on n’y allait pas tant que ça. On n’allait voir que des artistes qu’on aimait beaucoup. Maintenant on va aussi en voir d’autres. Je pense qu’un bon concert, c’est quand tu arrives à arrêter de penser au reste, à ce qu’il y a en dehors du concert.
Martin : Pas forcément. Parce que des fois le chanteur ou la chanteuse peut te faire penser à un truc.
Vadim : Mais ça fait encore partie du concert.
Martin : Oui, mais ça te fait penser à une chose qui est extérieure.
James : En fait je me rends compte que quand je vais à des concerts, je pense beaucoup à chez moi...
Martin : A la vaisselle qu’il te reste à faire ?
James : Ouais. Ça, du coup, ce n’est pas un bon concert.
Martin : Je pense qu’un concert qui n’est pas génial, c’est un concert où tu essaies de sympathiser et que tu te dis "bon allez, je vais regarder ce qui se passe avec les lumières". Mais du coup, ça peut aussi devenir un bon concert.
Louis : Un bon concert, c’est quand tu es à fond dedans.
Martin : Je crois aussi vachement en l’alchimie de groupe. Une espèce d’effet boule de neige qui commence quand quelqu’un fait "ouaiiiis".
Vadim : Ouais.
Martin : … et du coup tous les gens autour font "ouaiiiis".
James : Ouaiiiis !
Louis : Ouaiiiiis !
Louis |
C’est quoi pour vous, un concert réussi ?
Vadim : On arrive à le sentir. Des fois, quand c’est fini on se dit "ça, c’était un bon concert". Ça passe aussi par un bon système son. Si on ne s’entend pas sur scène, c’est désagréable, ce sera un mauvais concert.
Martin : Moi je sens que ce n'était pas un bon concert si j’ai l’impression que je n’ai pas fait le job.
Vadim : Le rapport avec les gens ça fait aussi un concert bon ou pas.
James : Un bon concert c’est quand les gens ils kiffent. Si avant de commencer un type te dit "toi t’es un enculé", tu vas pas forcément passer un bon concert. Et ce qui est chouette aussi, c’est quand on arrive à créer des choses qu’on n’avait jamais faites sur scène avant.
Vadim : A la base on faisait juste la fête avec des gens qu’on aimait. Quand on s’est retrouvés sur des scènes, on a été obligés de faire autre chose parce que tu ne peux pas juste danser tout seul sinon tu t’ennuies. Donc on fait des jeux. Par exemple hier on a fait un truc qu’on n’avait jamais fait avec un globe terrestre, c’était sympa.
Louis : Hier on s’est fait des moustaches avec du gaffer. On change à chaque fois.
Le fait de choisir certains accessoires ça va rendre le concert meilleur ?
James : Non.
Martin : Il y a des gens qui sont plus réceptifs que d’autres.
Vadim : C’est juste un truc en plus de la musique.
Louis : C’est ça qui va faire que nous, on s’amuse. Et donc peut être que ça se ressent après.
James : J’aime bien avoir des trucs qui sont grands comme ça les gens qui sont loin peuvent les voir aussi. J’aime tout autant les petits trucs parce que les gens qui sont au premier rang méritent d’avoir un traitement de faveur, puisque justement, ils sont tout devant. Mais les personnes qui sont derrière méritent aussi de voir quelque chose. Peut-être qu’au bout d’un moment, on devra trouver d’autres trucs avec lesquels jouer sur scène. Parce qu’on aura quasi utilisé tous les matériaux disponibles. Il y a une quantité limitée de choses qu’on peut trouver sur un festival.
Vadim : Non, on peut aussi aller dans les magasins. Je pense qu’on trouvera toujours des trucs à faire. Rien qu’avec un bout de carton tu peux faire une infinité de choses. C’est comme les notes de musique, tu peux toujours expérimenter.
James : Peut-être que oui, mais il faudra apporter plus.
James: En fait, nos concerts, c’est une sorte de spectacle visuel, parce que comme on connaît super bien notre musique on sait exactement qu’à tel moment il se passe telle chose et à tel moment telle autre chose. On sait aussi aussi comment le pointer avec les objets.
Martin : Moi je le dis et le redis, je suis contre le terme "spectacle". J’ai pas l’impression qu’on fait un spectacle. J’ai plutôt l’impression qu’on fait la fête tous ensemble. L’idée de se donner en spectacle ça me dérange pas mal, c’est pour ça aussi qu’on descend parmi les gens et qu’on danse avec eux.
Martin : Moi je le dis et le redis, je suis contre le terme "spectacle". J’ai pas l’impression qu’on fait un spectacle. J’ai plutôt l’impression qu’on fait la fête tous ensemble. L’idée de se donner en spectacle ça me dérange pas mal, c’est pour ça aussi qu’on descend parmi les gens et qu’on danse avec eux.
Vadim : Je suis d’accord. Mais le problème c’est qu’on fait ça. On fait un spectacle concrètement.
Martin : Non, je ne crois pas.
Vadim : Si, parce qu’on est sur scène avec des lumières qui nous éclairent et des micros dans les mains et on fait danser les gens.
Martin : Oui mais les micros on les donne aux gens.
Vadim : On les donne pas assez pour dire qu’on ne fait pas un spectacle.
Martin : Les lumières, elles sont aussi sur les gens.
Vadim : Mais y a une scène.
Martin : Les gens viennent danser dessus.
Vous êtes quand même le centre de l’attention.
Martin : Oui. Mais en tout cas je ne crois pas qu’on fasse un spectacle.
James : C’est bien de savoir ce que c’est un spectacle au sens traditionnel.
Louis : C’est bien de vouloir faire en sorte que ce ne soit pas un spectacle.
Martin : Moi je crois qu’on n’est pas des personnes qui nous donnons en spectacle. On montre les choses. On est comme des vecteurs de lumière en fait. Pour moi, ce sont les sacs poubelles qui se donnent en spectacle, c’est le carton, c’est le scotch. C’est nos musiques quoi.
James : Je suis allé voir un super spectacle de scotch l’autre jour. Il se déroulait, ils collait des choses...
Martin : "Concert", j’aime bien, ça fait penser à l’expression "de concert". C’est déjà plus en rapport avec ce qu’on essaie de faire. C’est important les associations d’idées.
Martin avec un bout de James |
"Spectacle", ça fait penser à un cirque.
Martin : Ouais c’est ça, et j’ai pas du tout envie de ça. On n’est pas des animaux de foire. Mais souvent, on nous considère comme ça. Ça arrive qu’on dise des choses comme ça de nous. Ça m’embête.
Les gens qui vous programment vous considèrent comme des attractions de carnaval ?
James : On ne sait pas trop comment ils nous considèrent. Des fois si ça se trouve y en a qui doivent nous kiffer et nous inviter et qui se disent, "ah c’est cool, on va voir des clowns".
Martin : Mais nous, on ne veut pas faire ça. C’est triste pour eux, ils nous invitent pour des raisons qui ne nous plaisent pas.
Louis : Mais le public ne nous considère pas comme ça.
Martin : Ben ça dépend ! Des fois c’est comme ça au début. Y en a qui viennent nous voir comme les ovnis.
Louis : Après, ils changent d’avis.
Martin : J’espère.
Vadim : Il y a des gens qui nous aiment au second degré, et en fait sans s’en rendre compte ils nous aiment pour les mêmes raisons que les gens qui nous aiment au premier degré. Mais avec une sorte de protection, pour se marrer. Ils se déguisent, mais au fond ils sont dans le même état d’esprit que nous. Le problème, c’est qu’ils se cachent derrière une espèce de vernis, c’est comme une protection… Nous, on n’aime pas cette protection. A mon avis, des mecs qui viennent à notre concert tout déguisés et qui disent "Regardez, j’ai mis des chaussures pourries, des chaussettes jacquart et une veste à ma grand-mère !" ils sont juste habillés quoi, tout comme nous. Et en même temps pour eux c’est du gros délire.
James : Après, la musique, c’est autre chose. On essaie toujours de se débrouiller pour que ce soit dansant. Et sur ce plan là, on n’a pas trop de problèmes parce que bon, c’est de la techno et y a pas trop à discuter sur la techno. Soit ça fait danser, soit ça ne fait pas danser.
Ce serait quoi pour vous la définition idéale de Salut C’est Cool ?
Vadim : On galère à l’écrire mais on peut dire déjà celles qu’on n’aime pas. Par exemple, la description dans le programme de ce soir.
Martin : Y a plein de trucs horribles.
Vadim : Ouais, elle est assez reloue.
James : Là, moi ça me donne une demie heure de bourdon.
Martin : J’ai presque pleuré.
Vadim : Allez, on va se mettre un petit coup de cafard là.
Description du groupe pour le festival La Cité |
Vadim : Alors en gros ils disent qu'on est "le gang du mauvais goût".
Martin : Déjà ça, on pleure.
Vadim : "Leur ringardise poussée à l’extrême en dit long sur leur état d’esprit". Donc en fait ça veut dire que le mec nous trouve ringard, et mauvais goût.
Martin : Et là, la phrase la plus triste : "Il n’y a rien à sauver, dans le packaging de Salut c’est Cool, surtout pas leur nom". Rien à sauver. Ça veut dire qu’on est vraiment un cas désespéré.
James : On se demande pourquoi on est là.
Martin : Mais bon, ils disent "punk", ça c’est ok.
Vadim : En général, ce qu’on n’aime pas, c’est ce truc qui nous fait passer pour des gens qui font exprès de faire de la merde, de faire du mauvais goût pour se moquer de ça. Pour se moquer des gens qui écoutent de la techno. Enfin non, pas pour se moquer mais pour rigoler, parce que c’est ridicule.
James : Comme si on était des rockeurs, ultra-punk, qui se disaient "allez, on va faire de la techno". Mais nous on teste des trucs, on va vers des choses.
Louis : On a envie de s’amuser avec ça aussi. Par exemple, on fait un site web. Et l’amusement ça fait qu’on essaie des nouvelles choses, on expérimente des trucs, on réfléchit au médium.
Vadim : Ouais en fait on trouve ça beau d’utiliser peu de choses pour faire de nouvelles choses. On aime bien qu’il y ait des esthétiques qui existent déjà, des esthétiques par défaut sur un site web. On aime s’en servir aussi parce que parfois on n’a pas grand chose à dire sur le graphisme.
Martin : Ouais, et ce genre de texte ça nous rend triste parce que ce qu’on fait, on le pense vraiment.
Vadim : Ça nous fait passer pour des gens vraiment tordus quoi.
Martin : Mais si on s’habille comme ça, c’est pas pour se déguiser, c’est parce qu’on s’habille comme ça tous les jours. Si on fait notre site web comme ça, c’est parce qu’on a envie de le faire. On trouve ça beau et intéressant.
Vadim |
Louis : Je ne comprends pas pourquoi on a autant de problèmes à défendre ça. Parce qu’y a plein de groupes - Sexy Sushi, typiquement – qui font plein de trucs bizarres et y a pas de problème. Mais nous, on doit se battre avec ça.
Martin : C’est peut-être parce qu’on est encore nouveaux.
Vadim : Ou parce qu’on est rigolos. Et du coup un truc rigolo, c’est pas forcément pris au sérieux. Quelque chose de rigolo, c’est peut-être direct un truc pour se moquer. Je sais pas, mais parfois nous aussi on trouve ce qu’on fait rigolo. Le rigolo, c’est intéressant.
James : De toute façon le négatif ça ne nous correspond pas, parce qu’on est des gens positifs.
Vadim : Mais je pense que les gens qui viennent s’éclater à nos concerts, même s’ils trouvent ça un peu rigolo, j’ai l’impression qu’ils ont compris.
Vadim : Mais je pense que les gens qui viennent s’éclater à nos concerts, même s’ils trouvent ça un peu rigolo, j’ai l’impression qu’ils ont compris.
Louis : Pour Solidays ils avaient dit qu’on caricaturait les hipsters.
James : Et des hipsters c’est des hommes à barbe avec des chemises, tu vois un truc comme lui.
Comme Louis ? Ah non, il a pas de chemise.
Vadim : Mais si c’est une caricature ce mec.
James : Caricature!! T’as un gros nez, tu ressembles à un oiseau!