Elle n'a pas la carrure fragile d'une chanteuse mignonne qu'on prendrait dans ses bras, et sûrement qu'elle s'en fout. Erika M. Anderson n'est pas là pour papillonner des cils, au contraire, elle flanquerait plutôt des baffes. De bonnes grosses claques pleines de hargne et de sueur tout en réglant ses comptes avec des paroles bien senties et une fougue punk de cave sombre. Vue et appréciée au Bad Bonn vendredi passé. Écoutée et aimée sur son premier opus solo Past Life Martyred Saints, EMA ne nous laisse pas indifférentes. Et peut-être bien qu'elle s'imprime insidieusement en nous. Comme elle le chante si bien: "I Wish That Every Time He Touched Me Left A Mark".
EMA
Past Life Martyred Saints
@Bad Bonn 30/09/11
Certes, hors contexte, certaines paroles font un peu emo ("I'm just 22; I don't mind dying"). Mais lorsque les morceaux sont pris comme un tout, comme il se doit, la tension des phrases d'EMA colle parfaitement à l'atmosphère générale de son album. Tour à tour brutal presque crado ("Butterfly Knife", "Milkman") puis lent ("The Grey Ship") puis quasi parlé ("Marked") puis torturé et lancinant, Past Life Martyred Saints mue sans s'égarer. Ca lui a valu une bonne note p4k et des tas d'éloges. De notre côté, on apprécie surtout la sincérité de la meuf. Et peut-être même qu'on l'envie un peu: après avoir été bien déçue par les rêves qu'elle projetait sur la Californie, elle se venge d'un bien senti "Fuck California". C'est sûrement un bon argument marketing mais soyons francs: tout le monde ne peut pas se targuer de régler ses comptes d'aussi belle (et tubesque) façon. Fuck le mirage évaporé du rêve américain? Ouais, c'est ça, fuck la vie. Et paf, dans ta face.
Cette hargne, on la trouvait déjà dans le projet antérieur d'Erika: Gowns. D'ailleurs, cela n'a pas complètement changé depuis l'époque: Ezra Buchla, l'ex-partenaire (dans le groupe comme dans la vie) a joué plein de bouts de Past Life Martyred Saints. EMA gère toujours aussi bien l'art des reprises en tout genre. Et il parait que la chanteuse était de toute façon le leader de feu le groupe. Donc, non, vraiment, rien n'a changé. A part peut-être le fait que, pour balayer un peu le chaos sentimental du passé, EMA s'est mieux organisée, a réglé ses compositions et tout empaqueté pour réussir une bonne fois pour toute à conquérir le monde. Et ce, sous la houlette de Souterrain Transmission, rien de moins (la chouette maison berlinoise héberge aussi Ganglians, Tweak Bird et Zola Jesus).
Pour résumer, on pourrait citer Steve Jobs "la vie te balancera parfois des briques à la tête mais tu dois savoir te relever et réaliser tes rêves" comme une de ces phrases qu'on écrivait sur nos skyblogs dans nos moments de déprime pubère. EMA a bien pris note. Ses briques, elle les a émiettées dans ses morceaux et elle les piétine sur scène. Pour preuve, elle s'est donné toute entière au public du, selon ses propres termes, mythique Bad Bonn. Avec ses fêlures (elle a fait "Cherylee" toute seule sur scène et versé quelques larmes) et un enthousiasme débordant - sautant dans tous les coins, étalant son rouge à lèvre sur son visage, passant sa main dans les cheveux des garçons du premier rang et capturant des doigts dans la fosse pour les forcer à pincer des cordes de sa guitare. Accompagnée par d'excellents musiciens dont un (parfois deux) violonistes, EMA a beaucoup transpiré pour un public qui venait tester la crédibilité d'une meuf écorchée. C'est mission accomplie et on en ressort avec deux-trois égratignures, sans rancune.
Photos par Jeremy Küng.