Il y a ce bouquin d'Astérix et Obélix, dans lequel les Gaulois en mission avec Assurancetourix se mettent des bouquets de persil dans les oreilles pour survivre aux braillements dégueulasses de leur barde. Même Idéfix s'y colle et tout fini bien, sans que le ciel ne tombe sur la tête de qui que ce soit. Mais que serait-il arrivé aux irréductibles si le chansonnier était muni d'une harpe électrique, reliée à un ampli, branchée sur une génératrice du tonnerre actionnée par une légion de romains malintentionnés? Hein? A force d'aller à des concerts on connait la chanson: le live, c'est bien beau, mais il faut y aller molo. Alors, bouchons ou non? Bien souvent, les mauvaises raisons l'emportent ("ces machins jaunes ne tiennent pas de toute façon", "j'ai jamais eu de problème de toute façon", "ils déforment le son de toute façon") et on s'explose allègrement les tympans. Mais concrètement, au bout d'un certain nombre d'années passées à sacrifier notre ouïe sur l'autel du rock, on a quelques petites raisons de s'inquiéter. Du coup, pour être en état de jouir des programmations des concerts de cet été et des saisons à venir, on est allées poser quelques questions à une spécialiste de l'audition. Ca fait (très) peur, mais faut pas pousser mémé dans les orties, on ne va pas se priver d'un bon petit My Bloody Valentine pour autant.
Jeunes et durs de la feuille
Christina Schünemann est acousticienne à Fribourg. Dans son métier, elle voit défiler tout un tas de gens à qui elle prescrit des appareils auditifs. On n’aime pas l’admettre, mais il n’y a pas que des vieux parmi ses patients : "On ne peut plus dire que la baisse d’ouïe ne concerne que des personnes âgées. Aujourd’hui, les gens sont confrontés quotidiennement à un volume sonore plus élevé qu’il y a une trentaine d’années" affirme-t-elle. En fait, le seuil critique à partir duquel on risque d'endommager son acuité auditive se situe autour des 85dB. C'est plus ou moins le bruit d'une machine à laver, d'une voiture, d'un cri humain ou d'aboiements de chien. Une bête tondeuse à gazon ou un mixeur dépassent déjà ce seuil! Autant dire qu'il en faut peu.
Des concerts hors normes
Dans ce cas, quid des concerts? Dans les salles Suisses, toutes les manifestations sont limitées à 93dB. Le chiffre se calcule en moyenne sur une heure et si l'on veut dépasser ce seuil pour atteindre la limite supérieure maximale de 100dBs, il faut avertir la préfecture à l'avance. Selon Gil Vassaux, administrateur de la salle fribourgeoise Fri-Son, cette limitation n'est pas toujours aisée à mettre en oeuvre: "Il y a des groupes qui de par leur style dépassent de toute façon la limite indiquée par la loi. Ce sont en quelque sorte les "exceptions qui confirment la règle". On ne va pas les empêcher de faire leur binz. Par contre, il faut privilégier le dialogue en amont. Il s'agit d'une part de communiquer avec le public. D'autre part, le management doit être averti au moment de la signature du contrat de la législation qui change d'un pays à l'autre". Et qui surveille le son pendant les soirées? "Dans les soirées DJ, il y a un système qui empêche le dépassement de la limite. Par contre dans les concerts, c'est la régie qui tient les manettes". Quant aux festivals, ils n'échappent pas non plus à ces restrictions. Sauf peut-être à l'article qui prévoit un espace tranquille "de récupération" (à 85dB) équivalent à au moins 10% de la superficie de la salle. Si déjà dans les campings on n'arrive pas à un moment où tout le monde dort dans le calme, allez limiter le bruit dans l'enceinte...
Dommages à vie
Chaque concert est donc un risque à prendre. Le pire c'est que selon Christina Schünemann, une seule fois suffit pour commettre des dommages irréversibles à son oreille! En effet, sous l'effet d'une forte pression, les petits "poils" sensoriels présents dans l'oreille interne (cochlée) peuvent se briser. Ces minuscules cellules ciliées sont responsables de la transmission du message sonore au cerveau. Sans elles, plus d'audition et comme elles ne se renouvellent jamais, pas de chance de recouvrement. "Il existe des maladies de l'oreille externe que l'on soigne avec des médicaments, mais dans le cas de volume sonore trop élevé, c'est toujours la cochlée qui pâtit". Effet pervers, les dégâts d'une trop forte exposition peuvent être ressentis des années après l'événement. La dégradation de l'ouïe se fait en général graduellement et les problèmes apparaissent plusieurs années après le choc... Mais la spécialiste de l'audition tempère: "En général, il suffit de deux-trois jours de calme à l'oreille pour récupérer".
Acouphènes et compagnie
Tout le monde ne devient pas forcément sourd des suites d'un concert. Il faut cependant être attentif à certains signaux pour savoir si l'on a un problème. Les acouphènes, par exemple, sont le symptôme d'une oreille qui est stressée. S'ils persistent, c'est mauvais, et l'on risque même de se retrouver avec un crissement désagréable durable dans les oreilles. D'autres symptômes, comme le fait d'entendre sans comprendre les différents interlocuteurs dans une conversation en groupe, ou le fait d'être anormalement fatigué après un effort d'écoute doivent être pris au sérieux rapidement: "Plus on met du temps à se soigner ou à se munir d'un appareil, plus la réadaptation sera longue et pénible". Parole d'acousticienne.
Sortir couvert
On le sait, mieux vaut se protéger. "En fait la meilleure protection, c'est de porter des bouchons, de se poser loin des enceintes, ou de ne pas venir du tout." ironise Gil Vassaux. Selon Christina Schünemann, le mieux c'est d'avoir des bouchons sur mesure, munis de filtres. "Les bouchons standards réduisent surtout les fréquences aiguës, ce qui modifie la perception du son. Les protections munies de filtres abaissent toutes les fréquences au même niveau et protègent efficacement l'appareil auditif". Seulement voilà, une telle protection coûte un bras. A l'"acousticentre" où travaille Christina, on m'a proposé la chose pour la modique somme de 290CHF (soit 230 euros)… Comme tout le monde n'a pas 300 boules a investir dans des bouts de caoutchouc, autant se rabattre sur des solutions alternatives. Reste à savoir quelle option est la plus adaptée.
Pléthore de bouchons
De façon générale, les salles de concert et les festivals mettent gratuitement à disposition des bouchons standards, comme le prévoit la loi. Cependant, ces machins jaunes malléables ne tiennent pas dans toutes les oreilles: "En fonction de la forme du conduit auditif de la personne, la protection est incomplète" confirme Christina Schünemann, avant de préciser que ces trucs-là déforment le son, puisqu'ils n'ont pas de filtres. La bonne alternative, c'est les bouchons en caoutchouc avec des lamelles qui protègent mieux, déforment moins et sont surtout bien plus abordables. On en trouve des modèles piscine ou anti-conjoint-ronfleur. A bon entendeur. Reste qu'en cas de dèche suprême, on peut aussi utiliser des mouchoirs ou de la ouate: "C'est une bonne solution de dépannage pour une protection légère, mais là encore, le son sera altéré".
Adieu ouïe
Au final, on n'est pas sortis de l'auberge. Mélomanes biberonnés aux baladeurs branchés trop forts et assidus de concerts tueurs d'oreilles, nous sommes apparemment tous condamnées à la surdité. Sans considération. Mais à l'inverse de Beethoven en son temps, on nous proposera des appareils auditifs quand on n'y entendra plus. Et puis à la fin, il faudra bien se faire une raison. En attendant, on va juste profiter de bons concert en s'évitant d'avoir mal grâce à une protection relative. C'est toujours mieux que de ne pas y aller du tout, par Toutatis!