[GUEST 1 : Claire]
Mon grand père est un homme peu bavard, de moins en moins avec le temps, mais parfois on réussit à lui faire raconter des choses. Quasi centenaire, il est né en 1917 en Bretagne, alors que ses parents fuyaient la guerre en Belgique pour s'installer quelques mois en France. Quand la paix a été annoncée, la famille est retournée sur ses terres noires natales, près de Charleroi. Mon grand-père n'a plus habité nulle part ailleurs, à part pendant la deuxième guerre mondiale, quand il a été fait prisonnier par les Allemands, avec des milliers d'autres Belges. Après avoir avoir été enfermé quelques mois dans une caserne belge, il a été envoyé en Allemagne pendant un an, pour travailler dans une usine comme mécano. De cette année, papy garde un bon souvenir. Son patron était agréable, et il ne lui manquait de rien : en effet il réparait aussi les voitures des civils, qui en échange le rétribuaient souvent en nature, une miche de pain par ci, une truite par là. Papy habitait chez une famille. La seule exigence qu'il avait émise en s'installant là bas, c'était d'avoir tous les matins un petit déjeuner avant d'aller travailler (léger degré badass de la demande).
Un jour, après un an de service non-stop à l'usine, son boss avec qui il s'entendait bien lui a dit qu'il lui accordait deux semaines de vacances pour qu'il retourne en Belgique voir sa famille. C'était dit avec un clin d’œil, le cœur ouvert, un cadeau d'homme à homme qui savaient tacitement qu'une fois la permission accordée, mon grand père ne reviendrait jamais en Allemagne.
C'était en 43. Papy est allé vivre sous une autre identité en Belgique et a travaillé dans une cimenterie le temps que la guerre finisse. Il ne s'est pas manifesté auprès de sa famille, de peur qu'ils aient des ennuis ou que les voisins dénoncent. Ma grand mère, qu'il n'avait pas encore rencontrée, se souvient de la guerre comme d'une époque où on ne mangeait pas à sa faim. Un œuf au marché noir coûtait 50 francs, ce qui équivaudrait à 10 heures de travail au smic de nos jours. Selon mes grands-parents, l'occupant allemand, le soldat basique, n'était pas plus désagréable qu'un flic, et après tout, ne faisait qu'exécuter les ordres. Ça, c'est en gros ce que je sais de la deuxième guerre mondiale vécue par mes grands-parents. Quand la paix a été annoncée une deuxième fois sur le continent, le père de ma grand-mère, que je n'ai jamais connu mais qu'on appelait Nono ('un homme formidable' dit parfois mon père les larmes aux yeux) a acheté des caisses et des caisses de savon au cas où il y aurait une troisième guerre mondiale. Au moins ils pourraient se laver. Comme ce temps n'est jamais venu, Nono a dû tout jeter car ça avait fini par pourrir dans la cave.
C'était en 43. Papy est allé vivre sous une autre identité en Belgique et a travaillé dans une cimenterie le temps que la guerre finisse. Il ne s'est pas manifesté auprès de sa famille, de peur qu'ils aient des ennuis ou que les voisins dénoncent. Ma grand mère, qu'il n'avait pas encore rencontrée, se souvient de la guerre comme d'une époque où on ne mangeait pas à sa faim. Un œuf au marché noir coûtait 50 francs, ce qui équivaudrait à 10 heures de travail au smic de nos jours. Selon mes grands-parents, l'occupant allemand, le soldat basique, n'était pas plus désagréable qu'un flic, et après tout, ne faisait qu'exécuter les ordres. Ça, c'est en gros ce que je sais de la deuxième guerre mondiale vécue par mes grands-parents. Quand la paix a été annoncée une deuxième fois sur le continent, le père de ma grand-mère, que je n'ai jamais connu mais qu'on appelait Nono ('un homme formidable' dit parfois mon père les larmes aux yeux) a acheté des caisses et des caisses de savon au cas où il y aurait une troisième guerre mondiale. Au moins ils pourraient se laver. Comme ce temps n'est jamais venu, Nono a dû tout jeter car ça avait fini par pourrir dans la cave.
Je vous parle de tout ça parce que je suis allée au musée de la seconde guerre mondiale à Bastogne avec mon père, du coup on a reparlé de l'expérience de papy, histoire d'avoir un point de comparaison. J'ai pensé à plein de choses : le rationnement, la question de la délation, et de la résistance et des sabotages, les arrestations arbitraires, les rues occupées par des soldats de l'autre camp, les radios clandestines.
Vers la fin de la guerre, alors que les hautes autorités allemandes désespérées envoyaient des gosses de 16 ans et des hommes presque infirmes au casse-pipe, après que le débarquement avait parachuté des milliers de soldats américains en Basse Normandie, une dernière attaque a été menée dans les Ardennes, dans les forêts derrière le musée que je visitais. On retrouve chaque année près de 30 tonnes d'obus et autres munitions rouillées. Bastogne a tenu grâce aux Américains venus prêter main forte aux derniers souffles de la guerre. Ces combats se sont déroulées aux alentours de noël 44, il faisait crevant de froid dans le clair de lune sur fond de neige, et les soldats n'avaient pas grand chose à se mettre sous la dent. Les images d'archives des soldats m'ont fait forte impression. L'uniforme, les sourires en coin, des gosses de 20 ans qui en font plus, ces soldats qu'on parachutait dans des bois une nuit d'hiver. On s'est baladés en voiture près de ces forêts où ont combattu des soldats américains anonymes, contre des soldats allemands tout aussi anonymes et loin de chez eux. Combien de générations après mes grands parents se souviendront de ces hommes ? J'ai encore pensé à la relativité d'une vie de soldat par exemple, ou de civil, de n'importe quel camp, donc des hommes en général. J'écoutais mon grand-père parler, ses énormes oreilles qui se sont étirées avec l'âge, les bras maigres de ma grand mère sur lesquels pendouille une peau fripée aussi fine que du papier soie. Dans ces moments-là, je me sens toute petite et vaine, et en même temps je pense au patron allemand de papy qui lui a donné des vacances qui durent encore 70 ans plus tard.
***
Je m'appelle Claire, je suis belge et présentement résidente aux Pays-Bas. Ex-velvet-jacket, j'ai connu Marie sur internet avant de la rencontrer en vrai des années plus tard à Bruxelles. Comme la plupart des gens ici, mon dada c'est la musique mais j'ai décidé de vous parler d'autre chose. C'est parti mon kiki.