L E O F A N Z I N E O Q U I O M E T O L A O C U L T U R E O E N O S A C H E T S

19.1.12

"On va à l'extrême de ce qu'on sait faire"

Julien Fernandez est le grand manitou de la tribu Africantape. Accessoirement, il joue aussi dans deux groupes géniaux: Chevreuil et Passe Montagne. On a parlé de ses activités au sein de son label dans la première partie de cette interview. Il s'agit maintenant d'en apprendre un peu plus sur son moi-batteur. Celui qui a transpiré la bouche ouverte au milieu de la Case à Chocs puis du Romandie en éclatant vigoureusement nos tympans joyeusement consentants. 


INTERVIEW JULIEN FERNANDEZ
PARTIE 2 : CHEVREUIL ET PASSE MONTAGNE

Il parait qu'avec Africantape, tu produis des groupes dont tu rêves d’être le batteur. Ce n'est pas un peu frustrant ?
Je ne rêve pas de prendre la place de leur batteur. Mais c'est vrai que souvent, je me reconnais dans la batterie d'un groupe. Je me dis que j’aimerais bien faire ce que le batteur fait.
Et si tout à coup il y avait une place vacante, tu remplacerais ?
Oui, pourquoi pas.
Mais aurais-tu le temps ? Tu joues déjà dans deux groupes...
On peut toujours s'arranger.

Sauf erreur, le premier des deux - Chevreuil - a démarré à l'école d'art de Nantes. Avais-tu déjà joué de la musique avant cela ?
Quand j’étais ado, oui, j’avais un groupe. J'écoutais des trucs qui me motivaient et j'essayais de faire la même chose avec des copains. Mais on a abandonné.
Après, je n'ai plus du tout joué pendant trois ans passés à l'école d'art. Puis j’ai rencontré Tony et on s’est mis à faire de la musique ensemble. On a tout de suite créé Chevreuil. C’était vraiment notre truc. On n'aimait pas trop l'école parce qu'on s'y ennuyait beaucoup donc on a eu l’idée de faire ce nouveau truc beaucoup plus divertissant : Chevreuil.
Ca a tout de suite marché ?
Non, pas vraiment. C’était un peu flip flop parce qu'on était des losers. Techniquement, on était vraiment nuls. Et puis les gens pensaient qu’on était extrêmement prétentieux. D'une part parce qu’on voulait absolument jouer au milieu du public. Et aussi parce qu’on utilisait quatre amplis.
Effectivement, le système que Tony a inventé, c'était un peu bizarre à l'époque. C'était presque comme s'il avait inventé une machine pour aller dans le futur.
C’est quoi ce truc ?
C'est un système quadriphonique. Tony joue avec une seule guitare mais créé des boucles différentes pour chaque ampli. C’est devenu hyper commun maintenant, mais à l’époque c’était…voilà. Et donc on passait pour des gros prétentieux.
Pour ne rien arranger, nos concerts étaient très mauvais. Nous avions de l'idée mais nous n'étions pas bons du tout. Heureusement, au bout d'un moment, à force de jouer, on a commencé à s'améliorer un peu. On a même fait des disques et plusieurs labels nous ont suivis. Il y a un label parisien qui était avec nous dès le début. Et maintenant on a aussi un label au Japon et un autre aux Etats-Unis. Grâce tout ça, on a persisté dans notre voie.
Mais à un moment, vous avez fait une pause.
Oui. On a arrêté pendant six ans. On a repris en novembre dernier et maintenant, on sait vraiment bien jouer notre musique... après dix ans !

C'est étonnant de tels progrès après un arrêt aussi long. Vous aviez chacun pratiqué de votre côté ?
La pause a été extrêmement bénéfique, c'est net. Entre temps, j'ai monté mon autre groupe - Passe Montagne. C'est un truc un peu différent : plus compliqué et plus subtil. Tony, de son côté a également continué à bosser. Lorsqu'on a repris Chevreuil ça a été immédiat. On avait peur, on s’est dit qu’on n'y arriverait jamais. Mais en fait, au bout d'une répétition c’était bouclé.
C’est fou ! C’est comme le ski.
Exactement. Comme le ski ou le vélo.

Aujourd'hui encore, vous êtes de gros prétentieux qui s'obstinent à jouer au milieu du public.
Cela vient du système de Tony. Ce n’est pas stéréophonique, c’est quadriphonique. Ca n'a donc aucun sens pour nous de jouer sur scène, en façade. Cela réduirait notre musique. On peut d'ailleurs se demander pourquoi on fait des disques. Ils n'ont pas vraiment de sens non plus.
En fait, Chevreuil c'est vraiment un truc... physique. On trouvait donc plus logique de se mettre au milieu du public.
Et pour mieux en profiter, on devrait tourner tout autour ?
Oui, voilà. Ou alors il faudrait se mettre au centre. Il y a parfois des gens qui viennent vraiment tout près. Cela dépend aussi de la salle. Mais au fond, on ne sait pas du tout ce que ça donne de l'extérieur, nous.
Tu entends un minimum quand même ?
Ah oui. J’entends parfaitement tout.
Tu joues tellement fort... c'est étonnant. Tes oreilles sont encore intactes ?
Je ne sais pas. Mais j'entends vraiment tout. C'est aussi parce qu'on ne joue quasi jamais. On a recommencé les concerts il y a deux jours. On n'avait pas joué depuis avril. Évidemment, si on faisait des répéts tout le temps, l’approche serait différente. Mais là…
Ton label et l'autre groupe ne doivent pas arranger ton ouïe non plus.
En effet. Mais avec Passe Montagne on est un peu en pause là. On est tous très occupés et on habite très loin les uns des autres aussi. 

J'ai vu un concert de Chevreuil et un autre de Chevreuil Sakit. C'est qui Sakit ? 
Mitch Cheney. Dans les années 90, il jouait dans un groupe américain un peu mythique qui rappelait Rumah Sakit. C'était même complètement mythique. En 2005, ils nous ont invités à faire une tournée avec eux. A partir de ce moment là j'ai commencé à collaborer avec Mitch et on est devenus super copains. Il est venu à mon festival et on y a fait Chevreuil Sakit pour la première fois ! C'était vraiment super.
Vous n'aviez pas essayé de jouer ensemble pendant votre tournée commune aux Etats-Unis ?
Non. A la base, Chevreuil Sakit c'était juste pour le festival Africantape. Et comme c'était vraiment bien, on a décidé de faire la petite tournée qui a lieu en ce moment.
A ton avis, c'est mieux avec ou sans Mitch?
Je ne sais pas vraiment. Mais il y a un truc en plus, c'est sûr. Ca fait plus de bruit et c'est très intéressant.
Vous allez enregistrer ?
Ca, c’est le grand mystère. Je ne sais pas. On a des projets, oui, mais je ne sais pas encore quelle forme cela prendra. Peut-être un 45 tours ou un EP avec Sakit...


Te revoilà donc en tournée. Tu avais un peu perdu l'habitude depuis la dernière fois ?
Oui peut-être. Je ne sais pas. En fait, ce qui est bizarre c'est qu'avec Chevreuil, on n'a jamais eu d'ambition particulière. On ne s'est jamais dit "Putain ouais, il faut qu’on fasse ça pour pouvoir aller là-bas". Au fond, c'est une approche très relax. Mais les concerts restent quand même stressants.
Tu as le trac avant les concerts ?
Oui, énormément.
Ca ne se voit pas, là.
Ah oui, peut être. Mais en fait, jouer avec Chevreuil c'est... je sais pas, ce n'est pas seulement jouer de la musique, c'est plus que ça.
Comment ça ?
Quand je joue avec Tony, on se regarde beaucoup. Il ne faut pas se rater. C'est presque un peu une performance. On va à l'extrême de ce qu'on sait faire. Ca n'est plus de la musique en fait.
Je vois pas en quoi ça ne serait pas de la musique.
Ce n'est pas la même chose que de la musique parce que ce ne sont pas des chansons.
C’est une performance physique.
Voilà.

Tu préfères jouer avec Chevreuil ou avec Passe Montagne ?
Quand je suis en tournée avec Passe Montagne je préfère Passe Montagne et quand je suis en tournée avec Chevreuil, c'est Chevreuil que je préfère.
Mieux vaut ça que l’inverse.
Oui. Ca tient au fait que mes groupes ont deux approches très différentes. D’un côté, Passe Montagne a une formule batterie + guitares très classique. En plus on joue sur scène et tout. Par contre, musicalement, c’est beaucoup plus complexe et dingue que Chevreuil.
Vous jouez sur scène parce que vous avez besoin de vous concentrer ?
Non. On a juste envie de faire un truc avec une configuration classique mais qui en même temps fait quelque chose de très extrême. J'ai plus de facilité à jouer avec Passe Montagne que lorsqu'on fait des concerts avec Chevreuil.
Même si c’est plus compliqué ?
Oui. Au niveau physique et à cause de l'endurance aussi. En plus je me repère avec des boucles. Et je ne peux pas regarder la boucle, il faut que je joue direct avec. Ca demande beaucoup de concentration. Avec Passe Montagne, on peut juste se regarder et tac on fait des trucs. Ca n'est pas pareil.

Où est ce que vous trouvez les noms de vos morceaux ?
C’est souvent Tony. Il les sort comme ça. Ca lui vient spontanément.
Ca n’a pas de rapport avec un sens caché de votre musique ?
Non, pas du tout. C’est spontané. Il a une manière de penser qui fait des connections entre les mots.
Dans Passe Montagne aussi, les titres sont drôles.
Ouais, je sais pas. Ce sont les autres qui font ça. Je ne m'occupe pas des titres en général.
En fait, tu ne traines qu’avec des gens qui font des jeux de mots.
Oui voilà, c’est ça. Exactement.

Et toi, tu as une blague à raconter ?
Putain je suis nul en blagues. Mais attends, j'ai une blague normalement là... Ah non. Peut-être plus tard. Si ça vient je te dirai.

Ca n'est pas venu, mais on s'est bien marré quand même. Notamment parce qu'à table, l'homme orchestre-rappeur-vidéaste Alexis Gideon a confondu les mots "Great" et "Grape". Et aussi parce que Julien a taché son pantalon pour la deuxième fois de la tournée. On n'est peut-être pas censé le dénoncer, mais ça faisait donc deux soirs de suite qu'il se renversait un truc dessus. Grape.
Ah et au fait : voilà la tête de Julien F. en vrai:


La première partie de l'entretien avec Julien Fernandez était consacrée à son label :
Africantape.