S'il y a bien un truc cool à propos du groupe YACHT, c'est tout le tintouin philosophique qu'ils s'appliquent à faire passer en arrière plan. Alors bon, on peut froncer sourcils et nez devant leur fascination pour la spiritualité mais si on creuse un peu, on trouve des gens intelligents et vachement conscients de leur truc. YACHT, pour eux, c'est une façon de vivre, un tout. Et cela s'applique avec une rigueur qui implique entre autres de la bouffe végétarienne, des lunettes de soleil, des triangles et de la musique bien dansante pour shaker son booty en scandant du James Hilton ("Shangri-La lalalala lalalala"). Plus chatoyant que paradoxal, le duo nous a accordé une petite heure sur une terrasse humide à Düdingen. Claire a beaucoup parlé pendant que Jona la regardait en opinant du chef d'un air concentré. Dans l'ensemble, on bien rigolé en mangeant de la salade de fruits.
INTERVIEW Y△CHT
TEA : Pour votre dernier album, See Mystery Lights, vous avez dit dans de nombreuses interviews que les lumières de votre lieu d’enregistrement, Marfa (TX), vous avaient beaucoup inspirées. Cette fois-ci, vous avez enregistré dans trois villes différentes. Est-ce que ce "Triangle de la Côte Ouest" comme vous l’appelez a été une nouvelle source d’inspiration pour vous ?
Claire L. Evans : Assurément.Jona Bechtolt : Oui, le lieu joue un grand rôle selon nous.
Claire : Nous avons choisi ces trois endroits parce qu’ils ont une importance particulière pour notre développement en tant que personnes et en tant que groupe. Premièrement, il y a Portland, c'est de là qu'on vient. Deuxième point, Los Angeles, où notre relation a commencé et enfin, nous sommes devenus ce que nous sommes aujourd’hui en tant que YACHT à Marfa, c’est donc notre troisième point.
Ces trois lieux représentent des étapes de nos vies. En même temps, ce sont les endroits où nous avons été le plus heureux. Evidemment, les notions de bonheur et d’utopie sont très importantes pour nous. Nous sommes captivés par la façon dont on peut créer son propre bonheur, avec son propre pouvoir. Il nous a donc semblé logique d’enregistrer notre album dans des lieux qui avaient eut un rôle dans cette construction du bonheur dans nos vies.
En fait, nous avons passé la plupart du temps à Marfa. C’est, d’un point de vue créatif, l’endroit le plus important pour nous. Parce qu’il est isolé. Et aussi parce qu’il y a tout un tas de qualités surnaturelles sur lesquelles on se concentre dans notre travail.
Les lumières ont donc toujours leur influence.
Claire : Absolument. Mais c’est bizarre parce que les lumières sont à Marfa depuis toujours. Les gens qui habitent là-bas y sont donc habitués. C’est un truc magique et mystérieux mais ça fait partie de la vie normale. Ce n’est pas particulièrement excitant ou nouveau pour la plupart d’entre eux.
Jona : C’est même presque ennuyeux.
Claire : Oui, une fois que tu as passé assez de temps là-bas, ça commence aussi à faire partie de ta mentalité. Nous aussi on s’y est fait. Mais ça ne veut pas dire qu’on les considère plus sérieusement. C'est vrai, au fond, pourquoi il n’y aurait pas de mystère autour de nous ? Ces lumières sont pour moi le symbole de mystères plus grands qui nous entourent. Bien que la plupart du temps on n’y fait pas attention parce qu’on est trop absorbés par ce qu’on est en train de faire. Mais si on y pense, nous vivons sur un bout de roc qui flotte dans un chaos infini. C'est dingue ! Il y a plein de trucs qu’on ignore encore. Les lumières sont une façon évidente de se rappeler ces choses.
En tout cas, vous m’avez donné envie d’aller à Marfa, à force d’en parler !
Vous faites de bons ambassadeurs / agence touristique pour Marfa.
(rires) Claire : C’est cool si on peut aider Marfa d’une façon ou d’une autre.
C’est grand ?
Jona : Non, c’est très petit.
Claire : C’est minuscule. Il y a genre, deux routes. Enfin non, peut-être plus.
Donc il n’y a rien à voir à part les lumières.
Claire : Il y a les lumières, c’est sûr. Elles ont toujours été là. Même avant que des humains arrivent. Et elles seront toujours là. Mais sinon, c’est aussi une sorte de communauté artistique. Il y a plein de gens incroyables là-bas. Par exemple, l’artiste américain Donald Judd. C’est un sculpteur génial qui était connu surtout dans les années 70. Il est arrivé à Marfa à la fin de ces années là et a acheté à peu près toute la ville parce qu’elle était en train de disparaître. Les gens partaient parce que c’est très isolé. Il n’y a pas vraiment d’industrie.
Jona : Et ils arrivaient à cours d’eau aussi. Il n’y avait pas encore d’infrastructures à proprement parler. Donc il n’y avait pas vraiment d’électricité non plus. Et lui est arrivé et a tout rénové pour que la ville ne disparaisse pas. Il a réussi parce qu’elle est toujours là !
Claire : On vend aussi beaucoup d’art moderne à bon prix à Marfa. Il y en a partout ! Dans des anciens bunkers, dans le City Hall, partout! Plein de pièces incroyables - du John Chaimberlain par exemple - qui attirent pas mal de touristes.
Jona : Oui, beaucoup de gens viennent depuis New York.
Claire : Au fond, c’est intéressant parce que d’une part, il y a l’expérience paranormale, de l’autre, l’expérience artistique et toutes deux réunies au même endroit. D’une certaines façon, elles se complètent bien. L’art peut être surnaturel et le surnaturel peut-être beau. C’est aussi cela qui rend Marfa si fascinante. Elle est sûrement différente de tout autre lieu aux USA. C’est une petite ville mais d’une certaine façon, elle a un peu le climat intellectuel d’une grande ville.
Vous vous dites fascinés par le symbolisme. Les triangles, les ancres, le masculin/féminin, noir/blanc… c'est tout con mais moi, ça m’a fait penser au Yin & Yang.
(rires) Claire : Oui, on en parle aussi parfois. La dualité est un sujet fascinant. Mais on a encore tant de choses à apprendre ! Cela fait environ deux ans…
Jona : Quatre !
Claire : … que nous nous intéressons aux différents cultes et symbolismes. Comme c’est un sujet extrêmement vaste, même en y consacrant toute notre vie, on ne pourra jamais parler de tous les rituels existants. Bref, l’idée du Yin & Yang est bien sûr importante pour nous. Ce sont deux forces contraires qui s’attirent et se complètent. Comme nous sommes un duo, cela nous intéresse, évidemment. Nous sommes aussi des contraires mais en même temps, on se complète. Cela fait également partie du fait qu'on est un homme et une femme. Mais bon, ça fait presque un peu cliché de parler comme ça.
Dans votre récente participation aux "Music Tubesday" de Youtube, vous parlez justement de ces dualités. Sont-elles complémentaires ou contraires à vos yeux ?
Claire : Les deux. C’est ce qui rend le sujet intéressant. Bien sûr, la vie/la mort, le paradis/l’enfer, utopia/dystopia sont des contraires. Mais ils n’existent pas l’un sans l’autre.
Jona : Ils sont même très importants l’un pour l’autre !
Claire : Oui. Ils se décrivent l’un l’autre. Le concept "blanc" existe seulement si on peut le comparer au "noir". En même temps, tous deux font partie d’une seule et même réalité. Ce sont deux extrêmes, deux pôles. Mais ce qui se passe entre deux, le "gris"si on veut bien, nous intéresse tout autant.
En parlant de symbolisme, vous avez récemment créé les Smiangles...
Jona : Oui, j'ai vu que tu en avais un dans tes notes, il est trop chou... (petite voix aigue) ET IL Y A MEME LA PETITE ETIQUETTE !
Claire : On devrait aussi le faire celui-ci !
...est-ce que ça a un rapport avec Young Americans Challenging High Technology ?
Claire : Oh ! Non, je n’y avais jamais pensé.
Jona : Tous nos symboles sont connectés en fait.
Claire : Oui ! Mais je n’avais pas fait le lien entre "high technology" et les émoticônes. C’est intéressant.
Ca aurait aussi pu être un hommage au Smiley originel qui fête ses 40ans.
Claire : Ah, il a un anniversaire ? J’ai lu récemment que c’était toute une industrie possédée par une famille en Europe. Par contre, aux USA, ça fait partie du bien commun.
Jona : Dans ce graphique tu peux voir que nous nos symboles s'emboîtent. Le smile et le triangle étaient déjà présents dans l’encre en fait.
Est-ce que les Smiangles vont supplanter tous vos autres symboles ?
Claire : Non. On va continuer à tous les utiliser. On aime bien construire ce langage symbolique compliqué qui a différents niveaux mais où tout s’emboite pour créer un seul énorme signe. Peut-être qu’un jour, à force d’en accumuler, on arrivera à un truc énorme, un livre entier !
On adore expérimenter avec ce genre de trucs. A notre époque, on peut avoir accès aux mêmes outils que les professionnels. Graphistes, publicitaires, etc.
Mais vous êtes aussi des pros, à votre façon !
Claire : Oui, bien sûr, mais nous utilisons les mêmes programmes que des gens qui montent des films à Hollywood. On peut donc créer notre propre image exactement comme on veut qu’elle soit. Nous n’avons pas à demander à une agence de le faire à notre place.
Jona : Ni au label.
Claire : Construire ces images c’est une de mes parties favorites. J'adore expérimenter avec l’idée de "marque". Les gens adorent les symboles, ils aiment associer des choses avec, d'où le principe des logos. En fait, dans toute l’histoire de l’homme, les symboles ont toujours existé. C’est un peu la même chose quand tu portes un Tshirt de groupe. Tu ne portes pas un tshirt de Black Flag juste parce que tu aimes leur musique. Tu t’associes aussi à une concept. Les tatouages aussi ont une grande portée symbolique. C’est quelque chose que les gens aiment et qui fait partie de leur identité. Historiquement et culturellement, les symboles nous intéressent donc beaucoup. Créer un nouveau language qui nous corresponde, c’est une façon de créer notre propre réalité.
Comme une nouvelle religion.
Claire : Hmmm. "Religion" est un mot un peu difficile. Je ne pense pas qu’on puisse l’associer à YACHT. Ce n’est pas compatible avec ce qu’on veut apporter aux gens. Je dirais plutôt qu'on a notre propre philosophie ou tout simplement un ensemble d’idées que chacun est libre d’interpréter. Au contraire de la religion qui implique une façon de vivre. Une religion c'est un point de vue partagé par d’énormes groupes de personnes. Nous ne voulons pas être cela.
Vous ne voulez pas imposer vos idées ?
Claire : Non. Les gens n’ont même pas forcément à s’intéresser à tout nos symboles. Finalement, nous ne sommes qu’un énième groupe pop. Mais pour nous, c’est intéressant. C’est des sujets dont on discute régulièrement et qui font partie de nos vies. Nous mettons nos réflexions, notre travail à la disposition des gens mais c’est à eux de voir si ça les intéresse de savoir d’où on vient.
En tout cas, votre site propose plein de lectures intéressantes. C'est assez peu commun pour un groupe.
Claire : Au contraire, je pense que tout le monde a un certain background. La plupart n’en parlent tout simplement pas.
Jona : Quand nous aimons quelque chose ou un groupe, nous nous intéressons à tout ce qui se cache derrière. C'est pourquoi on a décidé de présenter aux gens nos idées.
Claire : Nous exposons toutes nos facettes, mais les gens n’ont pas forcément à s’y intéresser. Ils peuvent se contenter de notre musique. La pop peut être comprise très simplement. Elle n’a pas à être une expérience idéologique. Bien sûr, c’est possible. Mais ce n’est pas obligatoire.
Vous voulez réunir tous les arts comme Wagner ?
Claire : Je n'ai pas la prétention d'être Wagner mais oui ! J’aimerais rendre YACHT le plus physique possible. C'est quelque chose qui évolue constamment; Au début il n’y avait que Jona, ensuite ça a été 2 personnes, puis 4 et maintenant nous sommes 5. Au fil des ans, on s’est aussi intéressés au phénomène de groupe. Nous avons beaucoup de merch. Pas seulement des tshirts mais aussi des livres, des objets. Nous faisons aussi nos vidéos nous mêmes. Nous essayons d’être le plus complets possible. Le but, ça serait d’aboutir à un endroit, une expérience que chacun pourrait ressentir.
Vous allez créer un parc d’attraction à Marfa ?
(rires) Claire : Oh oui, pourquoi pas ? Je crois que beaucoup d’artistes essayent d’impliquer tous les sens dans leurs créations. Faire de l’art peut d’ailleurs être une façon de transmettre une vision du monde aux gens. C’est un moyen de communication. Donc si tu veux faire comprendre tous les aspects de ce que tu ressens, tu dois être le plus complet possible. D’un autre côté, c’est impossible de décrire exactement ta vision des choses car chacun vit, d’un point de vue neurologique, dans sa propre tête. Par conséquent, on ne peut jamais communiquer de façon complète. Mais on essaie, autant que possible ! Faire quelque chose de total, c’est un rêve impossible, mais c'est quand même notre but.
Y aurait du free wi-fi dans votre parc d’attraction ?
(rires) Claire : Oui, certainement !
On en revient toujours aux ordinateurs...
Claire : Oui, ce sont clairement des outils très importants.
D’ailleurs, est-ce que "YACHT" a toujours la même signification pour vous ?
Jona : L’esprit est toujours le même. Mais l’acronyme est devenu un mot abstrait pour nous. Il n’a pas de signification en tant que tel.
Claire : Ca arrive avec tous les noms de groupes. Tu l’entends tout le temps et finalement t’oublies à quel point il est ridicule. Car la plupart des noms de groupe sont ridicules. Genre les Beatles ou pire, Queens Of The Stone Age ! Mais avec le temps, tu oublies que ces mots avaient un sens. Pour nous, le mot YACHT, ça n’a rien à voir avec un bateau.
Jona : A la différence près que ça n’a jamais eut de rapport avec yacht au sens bateau.
Claire : C'est vrai. D’ailleurs, aux USA, notre site arrive en premier dans les résultats google.
Bon, après, l’idée de "Challenging Technology" fait encore partie de notre travail. Pas dans le sens d’un combat mais plutôt comme un dialogue. On utilise beaucoup la technologie dans notre travail. C'est intéressant et ça simplifie la vie.
Au fait, Jona, tu faisais quoi exactement dans Y.A.C.H.T ?
Jona : Y.A.C.H.T, c’était plein de choses différentes à la fois. C’était un programme de cours extra-scolaires pour enfants de tous âges. Une partie d’entre nous utilisaient les ordinateurs pour créer des programmes. Les autres apprenaient à pirater. Du coup, dès le début, on était divisés en deux groupes - je pense que c'est à ce moment là que j'ai commencé à être obsédé par la dualité. Le premier semestre, tu faisais une des activités et après, on échangeait. Ainsi, à la fin, tout le monde avait pu tout essayer. Mais le concept créait beaucoup de confusion et quantité de jeunes ont arrêté les cours avant la fin. Ca a donc fini par être annulé. C’était vraiment bizarre.
Vous êtes maintenant cinq dans le groupe (sur scène, du moins, ils collaborent avec "Bobby Birdman" Kieswetter, Jeff Brodsky, and Katy Davidson, ndlr). Les autres musiciens ont-ils participé à la création de Shangri-La ?
Claire : Non. La composition et l’écriture, c’est toujours juste nous deux. Les trois autres sont nos amis, des artistes épatants, mais ils nous accompagnent juste en tournée. Dès qu’on enregistre, on fait ça à deux.
Jona : A la base, il n’y avait que moi qui jouait de tout et puis maintenant on a divisé les choses par deux.
Claire : C’est ainsi que l'on fonctionne. On va peut-être changer dans le futur, on est ouvert à toute nouvelle idée, mais concernant YACHT au sens où on l’entend maintenant, c’est un processus de création réparti entre Jona et moi.
Pourtant, vous avez confié la réalisation de la double vidéo Utopia/Dystopia à l’artiste René Daalder. A quel point a-t-il été impliqué dans la création ?
Claire : En fait, il est l’une des premières personnes que nous avons autorisée à avoir une sorte de contrôle créatif sur nous. Je veux dire, dans le passé, nous avons été vraiment très, très pointilleux sur tout et nous contrôlions tout. En même temps, c’est notre projet, nos idées, il faut que ça reste cohérent. Quoi qu’il en soit, Daalder est quelqu’un que nous admirons beaucoup. Je suis une grande fan de son travail depuis des années. Du coup, quand il nous a dit qu’il voudrait collaborer avec nous on ne pouvait pas refuser.
C’est carrément lui qui vous a proposé ?
Claire : Non, je lui ai demandé en premier. Mais il a accepté ! Donc on l’a fait tout de suite. C’est lui qui a eut l’idée de faire deux vidéos en une. Il a aussi amené le thème visuel et le concept.
C’est lui qui a amené l’idée de Superstudio ?
Claire : Oui. Mais le truc incroyable avec René, c’est qu’il a une culture complètement différente de la nôtre. Il est plus âgé. Il vient d’une espèce de milieu radical hollandais. Il a vécu à Los Angeles pendant des années et il a joué dans un groupe de punk incroyable. Il a aussi fait des animations et bossé dans l’industrie du cinéma. Malgré tout, on a quand même les mêmes idées de création ! D'ailleurs, quand il nous a dit quelle était son concept pour la vidéo Utopia/Dystopia j’ai cru que j’allais tomber de ma chaise parce que ça correspondait exactement à ce que je m’imaginais et que je ne lui avais encore rien dit.
Encore un de ces mystères insondables... Vous êtes peut-être reliés de façon surnaturelle.
Claire : Oui. C’était vraiment spécial. Et bizarre aussi. Peut-être que notre façon de nous présenter en tant que groupe l’a amené à penser à ces choses. Mais l’idée de cet espace ouvert et infini, analogie de l’univers, c’est exactement ce qu'on s'imaginait.
Au fait, les nombreuses montagnes de votre clip m’ont forcément fait penser à la Suisse…
Claire : Ah ! Bien ! Je suis contente que la vidéo t’aie fait te sentir chez toi.
… où est-ce que vous situez votre Shangri-La ?
Jona : Ca dépend du temps.
Claire : Oui. Pour nous, Shangri-La ce n’est pas un lieu au sens physique. Ca peut être interprété en tant que tel. Mais toutes les tentatives de réalisation d’une utopie par le passé ont échoué. Il suffit de regarder l’Union Soviétique ou Jonestown... A chaque fois qu’on a essayé de fonder un endroit sur une idéologie, ça a abouti au fascisme ou à la mort ou autres.... Pour nous, Utopia a une base temporelle. Ca peut durer dix secondes et ça compte. Ce sont des moments privilégiés entre lesquels on se déplace. On ne reste pas enchaîné dans un seul et même endroit car les différences et les changements font aussi partie de la vie et contribuent à la rendre belle et intéressante. Donc notre Utopia c’est par exemple en ce moment même, le fait d’avoir cette conversation avec toi. Si ça durait indéfiniment ça serait horrible, mais là, c’est super !
Votre album, Shangri-La, est sorti fin juin et cela fait une semaine que vous tournez en Europe. Avant cela, vous avez en quelque sorte "testé" vos nouvelles chansons pendant une tournée américaine. Est-ce que vous observez des différences dans le public ?
Claire : Oui. Bien que l’album soit sorti il y a peu et que je ne pense pas que les gens ont eu le temps de l’absorber complètement. Mais il y a certainement une différence dans la réception.
Jona : Il y a aussi une différence dans notre façon de jouer. Maintenant on "sait" vraiment les chansons. On a eu temps de s’entraîner. En avril/mai c’était la première fois qu’on les jouait vraiment en live. On ne l’avait pas fait pendant l’enregistrement étant donné qu’on était juste les deux à jouer de tous les instruments. Maintenant, on a un peu moins de travail parce qu’on a les musiciens qui jouent certaines parties. Ca soulage. Mais ça reste tout de même un peu effrayant, ce qui est bien. C’est toujours mieux d’avoir un peu peur avant d’aller sur scène. On a le trac avant et pendant le concert mais c’est important parce que si tu as trop confiance, tu t’investis moins.
Au tout début, les gens ont bien réagi aux nouvelles chansons ?
Claire : Oui. On a eu de la chance d’avoir un public assez ouvert d’esprit. Je sais que quand je vais voir un groupe qui joue uniquement des morceaux que je ne connais pas ça m’ennuie vite.
Jona : Moi j’adore ça !
Claire : Je préfère la familiarité. Je crois que la plupart des gens sont comme ça. Ils viennent pour écouter les chansons qu’ils aiment bien.
Au fil de votre tournée, vous publiez régulièrement des vidéos parlant de vos "Highlights" mais vous avez sûrement aussi des moments de "Dystopia"…
Claire : Oui. On devrait aussi en parler c’est vrai.
Jona : On a fait les "Lowlights" un temps...
Claire : On devrait s’y remettre. Ca serait plus complet.
Et donc, quelles ont été les mésaventures de cette tournée européenne ?
Claire : Ca a commencé très mal en vérité, on a cassé une vitre du van le premier jour.
Jona : Oh oui. On était à Amsterdam, il y avait un virage en épingle à cheveu avec un poteau au milieu… Mais personne n’a été blessé, heureusement. Sinon, on a dû annuler un concert à Bordeaux. C’était en plein air mais il pleuvait. Dommage car on avait roulé pendant 6 heures pour y arriver.
Claire : Mais ce n'était pas horrible non plus parce qu’on a eu une nuit de libre du coup. Bordeaux est une chouette ville.
Oui, je l’aime bien aussi.
Jona : Es-tu déjà allée chez le disquaire Total Heaven ?
Oui, bien sûr !
Jona : Tu connais Martial Jesus ? C'est notre ami !
Claire : Tout ça pour dire qu’on a pas encore eu trop de "Dystopia" dans cette tournée. C’est l’été, il fait beau, que demander de plus ?
Mêmes vos concerts se sont bien passés ? Quel a été votre pire concert ?
Jona : De tous les concerts qu’on a fait ? Difficile à dire, on en a fait tellement ! Je pense que rien qu’avec YACHT, j’ai fait un millier de dates depuis 2002. Mais je joue dans des groupes depuis mes 15 ans et j’en ai 30 maintenant... Ca en fait pas mal et parmi eux, beaucoup ont été horribles.
Claire : C’était quoi le pire de tous ?
Jona : Quand j’étais jeune, j’étais dans un groupe de punk avec mon grand frère et on a fait une tournée pendant laquelle tous les concerts ont été horribles. C’était la première fois qu’on avait un tour manager. Et elle était vraiment nulle. La plupart du temps, les gens n’étaient même pas au courant qu’il y avait un concert ce soir là donc on se retrouvait à jouer pour le barman. Quelques fois, on a dû partir sans donner de concert.
Claire : Et le pire en tant que YACHT ?
Jona : Je ne sais pas trop. Il y en a eut des mauvais mais aucun ne me semble être vraiment "le pire".
Claire : Il y a eu des concerts où des gens bourrés venaient sur scène ou d’autres qui étaient embarrassants parce que personne ne nous écoutait… Aaaah mais il y a eu cette fois à Paris ! C’était un concert de nouvel an...
Jona : Oh mon Dieu.
Claire : ...C’était censé être une immense fête alors on a bossé pendant une semaine sur un diaporama qui devait faire le décompte.
Jona : On a demandé à des gens de toute la terre de faire des voeux dans leur langue... et l’ordinateur a planté 10 secondes avant minuit.
Claire : Il n’y avait personne à ce concert de toute façon. Quatre personnes en tout et deux d’entres elles étaient mes parents. C'était embarrassant. L’ordi a planté et puis on avait aussi prévu une espèce de mini feu d’artifice pour le coup de minuit mais ça ne s’est pas déclenché. Du coup ça a fait genre "10, 9, 8... PFFFFUIT"
Jona : En plus on avait des micros sans fil. Je déteste ça.
Claire : J’ai l’impression d’être un membre de U2 dans ces cas là…Mais bon, c’est la vie.
Jona : Oui, rien n’est très grave. Tout va bien pour nous.
Pourquoi portez-vous tout le temps des lunettes de soleil ?
Jona : Nous sommes très sensibles.
Claire : C’est pour se donner un genre.
Ca fait partie de l'Utopia. Tu dois avoir l’air cool.
Claire : Exactement. Et le futur est si brillant qu’il faut se protéger les yeux.
Jona : En fait, je ne sais pas exactement pourquoi. Il y a souvent beaucoup de lumière là où nous allons. Mais bon, on n'en porte pas non plus en permanence, la preuve (ils n'en portaient pas ce jour là, c'est vrai, mais il pleuvait, ndlr).
Vous êtes constamment sous le feu des projecteurs.
(rires) Jona : Mais non.
Claire : C’est de la lumière spirituelle qui nous entoure. Ca vient du paradis.
Comme les lumières de Marfa.
Claire : Oui. Mais à Marfa tu es obligé de porter des lunettes.
Jona : C’est en plein désert.
Claire : Il y a le soleil qui tape et le sable qui reflète le soleil.
C’est pourquoi vous possédez plein de paires différentes.
Claire : Exactement.
J’adore les rondes perso.
Claire : Oh oui. Moi aussi. Mais je les ai perdues.
Si Claire était un homme célèbre et Jona une femme célèbre, qui seriez vous ?
Claire : Ru Paul. Comme ça je pourrais être à la fois un homme et une femme.
Jona : Oh oui, moi aussi !
Vous seriez Drag Queen - Tous les deux, une personne, à la foi masculin et féminin.
Claire : Oui. Ca reflète assez bien ce qu’on est maintenant. A part qu’on est deux personnes séparées, évidemment.
Notre fanzine s’appelle TEA, aimez-vous le thé ?
Claire : J’aime beaucoup le thé.
Jona : Moi aussi. Mais je préfère le café.
Claire : Nous venons d’un lieu où le café est vraiment bon. Les coffee shops sont réputés dans la région.
Vous n’avez pas que de l’eau de vaisselle aux USA ?
Claire : C’est vrai qu’une grande partie des USA ne sait pas faire de café mais à Portland il y a plein de bons coffee shops. Sinon, j’adore le thé vert.
Jona : Moi j’aime le thé japonais avec du riz soufflé et aussi le coréen avec du blé.
Une blague pour conclure ? Ou alors une anecdote drôle.
Jona : Mon cerveau ne retient pas les blagues.
Claire : Le mien non plus.
Jona : Alors une anecdote ? Hmmm. Ok. Il m’est arrivé un truc marrant à Amsterdam. C’est pas incroyablement drôle mais bon, bref, on était à l’hôtel et dans la salle à manger il y avait un endroit spécial pour le café et le thé. J’ai cru que c’était libre donc je suis allé me servir. En fait, il y avait un monsieur dans la salle. Genre un groom. Et quand je me suis approché il a crié très fort et d’un ton accusateur "Sorry !". Voilà. J’avais jamais entendu quelqu’un utiliser ce mot de cette manière. Et puis j’étais très surpris.
S'ensuit une balade-session-photo dans les champs qui environnent le Bad Bonn, puis mon admission officielle à la Team Yacht, par l'intermédiaire d'un pin's-smiangle trop mignon. Mais ce n'est pas la seul surprise que Jona et Claire choisissent de faire - voyez plutôt à 1:22 de cette vidéo. Amour infini.