Rappelez vous. Il n'y a pas si longtemps encore vous attendiez, plus ou moins patiemment, la sortie officielle d'un album pour pouvoir enfin l'écouter. Vous couriez chez votre disquaire et embrassiez l'objet tant désiré avant de passer à la caisse pour le payer. Sweet times! Aujourd'hui, le leak est chose plus que courante, on peut avoir un CD plusieurs mois avant qu'il soit dans les bacs, et on n'a même plus besoin de payer. Nous ne sommes pas là pour blâmer ce nouveau et bien établi mode de consommation de la musique, non, mais seulement pour (re)chanter la gloire du bon vieux disque et le courage des disquaires indépendants.
TEA est allé à Bordeaux fouiner dans la boutique Total Heaven, un magasin de disques comme on les aime, où on peut fouiner des heures dans le bac à vinyles (neufs ou d'occasion), les tester sur une platine, trouver des fanzines, ou acheter des CDs et des places pour de (bons) concerts dans le coin. Nous avons posé quelques questions à Xavier, co-gérant de Total Heaven, qui nous a gentiment répondu, sur fond du dernier album des Liars (oui, parce qu'ils ont du goût dans cette boutique) et nous a aussi bien parlé de son activité de disquaire que de politique culturelle et corruption des médias.
Rien que dans l'histoire de Total Heaven, on remarque qu'il n'est pas aisé d'être disquaire indépendant. La boutique existait d'abord en Charente-Maritime, à Saintes. Mais la ville était trop petite pour que ça marche, il n'y avait pas assez de clientèle potentielle, pas assez de gens qui écoutaient de la musique et se déplaçaient aux concerts. Alors il a fallu déménager pour Bordeaux, histoire de trouver suffisamment de clients pour vivre d'un activité de disquaire.
Bordeaux, une ville culturelle ? D'après Xavier, oui. Mais il pense aussi que la ville souffre d'un problème de lieux. Certaines salles sont subventionnées comme le Krakatoa ou Barbey mais ne remplissent pas toujours leur rôle de lieu de découverte musicale. Alors qu'il existe dans la ville des petits lieux qui font vraiment des efforts de ce côté en faisant des groupes peu ou pas connus mais qui ne bénéficient d'aucune aide. Son modèle en la matière ? Le Confort Moderne, à Poitiers, où la programmation est très éclectique.
Et quand on objecte qu'à Barbey il a quand même parfois de bons groupes qui passent, comme les Horrors, Xavier précise qu'au départ, ils étaient censés jouer dans le club, ce qui était selon lui une grosse faute professionnelle. Ce n'était pas un problème de manque de public, le soir il avait 400 personnes... Tout cela pour dire que c'est souvent un programmateur qui fait la pluie et le beau temps dans une salle de concerts, et que d'après lui, le programmateur du Confort Moderne sait faire son métier comme il faut.
Et pour les festivals, le disquaire n'en a pas vraiment de préféré, si ce n'est les Eurockéennes. Mais la France n'a pas de quoi frimer à côté des festivals qu’il y a en Allemagne ou en Espagne. D’ailleurs la culture musicale en France est très pauvre. Par rapport à des pays comme l’Espagne, l’Allemagne, la Scandinavie… En France on a ce qu’on a quoi. Comme à certains élèves on pourrait mettre sur le bulletin de notes la mention "peut mieux faire".
Et justement, c'est difficile d'être disquaire indépendant en France. Parce que les gens ont tendance à acheter pas mal ce que la presse leur dit d’acheter. Les gens ont tendance aussi à acheter ce qu’ils connaissent ils sont pas très curieux. Et sur internet, les gens découvrent certaines choses mais la médiatisation est tellement plus forte que les gens se retrouvent sur les mêmes voies un peu. Les gens suivent un peu toujours les mêmes courants, les mêmes tendances, au lieu d’aller chercher personnellement. Bien sûr, Xavier parle ici en général, il y a des gens qui fouillent et qui essaient de pousser le schmilblick un peu plus loin à chaque fois, comme il dit.
Pour autant, Total Heaven ne galère pas trop non plus, c’est une activité qui est crédible hein, ça va. Mais il faut être aussi raisonnable, c’est-à-dire qu’il ne faut pas prendre la société Total Heaven comme une vache à lait. Ils ne se payent pas non plus très cher et ne font pas de déplacements avec le carnet de chèques et des soirées en discothèque et des banquets au restaurant. Etre disquaire demande une bonne part de gestion, faire attention à ce qu’on achète et à quel prix, et puis surtout être vraiment à l’écoute de la clientèle et de ce que les gens voudront voir dans les bacs ou pas.
Et quand on lui demande quelles sont les solutions pour que la culture musicale aille mieux en France, il répond qu’il faudrait changer la diffusion. Il pense que les médias, les radios et surtout la presse se concentrent trop sur ce qui est vendeur ou ce qui est attendu, et souvent même il y a certains magazines qui vont parler d’artistes parce que la maison de disques aura donné un peu d’argent derrière. C’est un peu acheté tout ça. Alors que si les journalistes revenaient à quelque chose de plus spontané, et moins financier, ils auraient envie de parler d’artistes qui leur tiennent plus à cœur, et donc ils proposeraient automatiquement autre chose. Après, les médias ne sont pas responsables de tout, cela relève aussi de la direction culturelle d’un pays de ne pas subventionner de plus petites structures comme des petites radios ou des webzines, des trucs que vous faites nous dit-il, ou alors plus simplement des fanzines papier qui eux parlent de choses que justement il faudrait défendre et des artistes qu’il faudrait mettre en avant. Mais comme ils n'ont pas les moyens tous ces gens là, cela reste pour les music nerds.
Et enfin, quand on fait appel au disquaire qu'est Xavier pour nous conseiller des disques, il nous avoue que son meilleur album de l'année 2009 était Childish Prodigy de Kurt Vile. Et dans les nouveautés ? Il regarde derrière lui les disques accrochés au mur : "Ben par exemple les Dum Dum Girls. Et ce groupe là, Serena Maneesh, qui est assez proche de My Bloody Valentine. Après je les ai pas nécessairement découverts récemment mais je les aime beaucoup les Horrors et leur album là, c’est aussi un des meilleurs albums qui est sorti l’an dernier. Euh… Après, il y a tellement de choses…. Et je n’écoute pas aussi que de la musique rock. J’écoute aussi pas mal de musique soul et de musique africaine… Je dirais qu’en matière de musique africaine, j’ai récemment aimé l’Orchestre National de Cotonou, et puis après en soul il y a la réédition des chanteuses soul qui s’appelle Little Ann, sur un label finlandais qui s’appelle Timmion Records, c’est super super super chouette."
Ce qui est aussi super super chouette, c'est la boutique Total Heaven. Alors si vous traînez du côté de Bordeaux, allez y faire un tour 6 rue de Cancale, Bordeaux-Victoire.
Et aussi, TEA s'était entretenu avec un autre disquaire l'année dernière, vous retrouverez l'article ici.