For Noise 2011, le cul dans l'herbe, nous observons tranquillement les passants en sirotant une bière lorsque Luz nous aborde. Une année s'est écoulée depuis notre première rencontre. Entre temps, il a changé de lunettes et arbore un tatouage de panda tout frais sur l'avant bras. A peine le temps de fixer un rendez-vous-interview au lendemain, il disparait aussi sec dans la mêlée. Un nouveau concert commence, il est temps pour le dessinateur moustachu de dégainer son carnet et son stylo.
INTERVIEW LUZ
Mise en images de la musique.
Luz (ou Renald Luzier) est surtout connu comme caricaturiste de
longue date chez Charlie Hebdo. Mais depuis quelques années, ce grand
amoureux de musique fait aussi des dessins de concerts. Il s'agit pour
lui de traduire au plus près les sensations éprouvées lors d'un live. D'une pierre deux coups, la démarche lui permet également de questionner sa relation à la musique : comment figer l'instant du concert? Quelle est cette partie de moi-même qui vibre de la musique? Comment se positionner face à chaque morceaux qui apparait avant de s'évanouir à jamais? Quel sens a la musique aujourd'hui? Les questions fusent et l'entretien se transforme peu à peu en un passionnant monologue, duquel on ressort lessivées. Et pour cause:
le bonhomme a eu près de quarante piges pour réfléchir à tort et à travers - et tout en buvant ses paroles comme celles du messie (ou peu s'en faut), nous espérons avoir autant de trucs à dire dans vingt ans.
Bref, pour commencer l'interview, on s'est dit qu'on allait mesurer notre talent (inexistant) en dessin à celui du maître en le mettant face à des portraits gribouillés pendant le trajet de bus en venant. Ca l'a beaucoup fait marrer mais il a quand même corrigé le tir en se dessinant lui-même, dubitatif, face à ces versions simplistes (et amincies) de lui-même. Notre tentative illustre au final assez bien la difficulté de saisir une personne en quelques traits. Dans ce cas, comment tirer le portrait d'un phénomène aussi immatériel que la musique?
"C'est comme chercher la marmite d'or au pied de l'arc-en-ciel." Et c'est dans cette impossibilité que Luz trouve sa motivation. Ainsi, il gravite autour d'un but en explorant ses multiples facettes, mais il ne l'atteint jamais. "Si j'y arrivais, ce serait la mort. Il n'y aurait plus rien à faire" résume-t-il. Luz accomplit donc un travail d'expérimentation échelonné sur plusieurs points de vue. Du public à la fosse en passant derrière les platines avant de former un groupe (avec Kid Chocolat sous le nom The Scribblers) - il a tout vu. Une part de ses observations sont (auto)publiées aux côtés des photos de sa meuf Stephmel sous le nom de "Trois premiers morceaux sans flash" où les dessins, complétés par des mini descriptions font écho aux cadrages serrés de la photographe. On a là les meilleurs live-reports qui soient. Du gonzo graphique en quelque sorte.
Mais revenons-en à la musique pure et simple, puisqu'il l'aime tant. Mieux, il se dit issu de la musique. "Je suis né un peu de mes parents, mais je suis surtout né de la musique." Cependant, quel sens a-t-elle dans notre société actuelle? Sous quelle forme? Est-ce que des festivals (comme le For Noise, tiens) ont encore lieu d'être? Là encore, pas de réponse claire. "Aujourd'hui, c'est devenu très complexe de vivre de la musique. C'est difficile de faire tourner les groupes et problématique de rentabiliser les festivals. En parallèle, le numérique a défait la musique de son support. Il y a forcément des choses qui vont disparaître à l'avenir." - Fini les pochettes de disque et les disques tout court? "Un ami a vendu son immense collection de vinyles sous prétexte qu'une musique numérique le touchait de façon absolument pure. Mais comment maîtriser quelque chose d'aussi évanescent que la musique si l'on ne peut se raccrocher à un support concret? Les pochettes peuvent être traîtres, mais elles permettent au moins de contextualiser la musique à moindre frais." L'avenir nous dira donc ce qu'il adviendra. Pour l'instant en tout cas, Luz a peur: "Je suis en haut du plongeoir des dix mètres, comme quand j'étais gamin." Mais il cite quand même l'éternel optimiste Brian Eno, selon lequel la musique serait en progrès constant.
La musique est morte.
Malgré tout, on lui a demandé de dessiner les funérailles de la musique. Ce qui l'a ramené à l'histoire de LCD Soundsystem et à leur ultime concert au Madison Square Garden. En effet, James Murphy est un très bon ami du dessinateur. Luz était donc à New York en avril dernier, et pas qu'un peu - il y a rempli un carnet entier de dessins! "J'ai dessiné comme un cochon. Mais c'était la première fois que la question de la saveur du moment se posait vraiment. Comment pouvais-je profiter au mieux du concert, sachant que c'était la dernière fois que j'entendais ces morceaux? J'ai assisté à une véritable mort musicale, il fallait donc que j'en garde une trace." Une expérience quasi religieuse pour Luz qui se décrit comme un mystique de la musique. "Je crois en une certaine vérité présente dans l'instant musical. Une vérité fondée sur la répétition du processus de naissance et de mort, d'amour et de disparition." Au final, il aura bel et immortalisé à vie ce concert - "pas le meilleur, mais le plus important de ma vie." - car le tatouage panda dont on parlait tout à l'heure n'est autre que le logo de l'événement. "Je n'ai plus besoin du tote bag maintenant!"
Bref, pour commencer l'interview, on s'est dit qu'on allait mesurer notre talent (inexistant) en dessin à celui du maître en le mettant face à des portraits gribouillés pendant le trajet de bus en venant. Ca l'a beaucoup fait marrer mais il a quand même corrigé le tir en se dessinant lui-même, dubitatif, face à ces versions simplistes (et amincies) de lui-même. Notre tentative illustre au final assez bien la difficulté de saisir une personne en quelques traits. Dans ce cas, comment tirer le portrait d'un phénomène aussi immatériel que la musique?
"C'est comme chercher la marmite d'or au pied de l'arc-en-ciel." Et c'est dans cette impossibilité que Luz trouve sa motivation. Ainsi, il gravite autour d'un but en explorant ses multiples facettes, mais il ne l'atteint jamais. "Si j'y arrivais, ce serait la mort. Il n'y aurait plus rien à faire" résume-t-il. Luz accomplit donc un travail d'expérimentation échelonné sur plusieurs points de vue. Du public à la fosse en passant derrière les platines avant de former un groupe (avec Kid Chocolat sous le nom The Scribblers) - il a tout vu. Une part de ses observations sont (auto)publiées aux côtés des photos de sa meuf Stephmel sous le nom de "Trois premiers morceaux sans flash" où les dessins, complétés par des mini descriptions font écho aux cadrages serrés de la photographe. On a là les meilleurs live-reports qui soient. Du gonzo graphique en quelque sorte.
Mais revenons-en à la musique pure et simple, puisqu'il l'aime tant. Mieux, il se dit issu de la musique. "Je suis né un peu de mes parents, mais je suis surtout né de la musique." Cependant, quel sens a-t-elle dans notre société actuelle? Sous quelle forme? Est-ce que des festivals (comme le For Noise, tiens) ont encore lieu d'être? Là encore, pas de réponse claire. "Aujourd'hui, c'est devenu très complexe de vivre de la musique. C'est difficile de faire tourner les groupes et problématique de rentabiliser les festivals. En parallèle, le numérique a défait la musique de son support. Il y a forcément des choses qui vont disparaître à l'avenir." - Fini les pochettes de disque et les disques tout court? "Un ami a vendu son immense collection de vinyles sous prétexte qu'une musique numérique le touchait de façon absolument pure. Mais comment maîtriser quelque chose d'aussi évanescent que la musique si l'on ne peut se raccrocher à un support concret? Les pochettes peuvent être traîtres, mais elles permettent au moins de contextualiser la musique à moindre frais." L'avenir nous dira donc ce qu'il adviendra. Pour l'instant en tout cas, Luz a peur: "Je suis en haut du plongeoir des dix mètres, comme quand j'étais gamin." Mais il cite quand même l'éternel optimiste Brian Eno, selon lequel la musique serait en progrès constant.
La musique est morte.
Malgré tout, on lui a demandé de dessiner les funérailles de la musique. Ce qui l'a ramené à l'histoire de LCD Soundsystem et à leur ultime concert au Madison Square Garden. En effet, James Murphy est un très bon ami du dessinateur. Luz était donc à New York en avril dernier, et pas qu'un peu - il y a rempli un carnet entier de dessins! "J'ai dessiné comme un cochon. Mais c'était la première fois que la question de la saveur du moment se posait vraiment. Comment pouvais-je profiter au mieux du concert, sachant que c'était la dernière fois que j'entendais ces morceaux? J'ai assisté à une véritable mort musicale, il fallait donc que j'en garde une trace." Une expérience quasi religieuse pour Luz qui se décrit comme un mystique de la musique. "Je crois en une certaine vérité présente dans l'instant musical. Une vérité fondée sur la répétition du processus de naissance et de mort, d'amour et de disparition." Au final, il aura bel et immortalisé à vie ce concert - "pas le meilleur, mais le plus important de ma vie." - car le tatouage panda dont on parlait tout à l'heure n'est autre que le logo de l'événement. "Je n'ai plus besoin du tote bag maintenant!"