L E O F A N Z I N E O Q U I O M E T O L A O C U L T U R E O E N O S A C H E T S

3.6.12

"The day I don't have to take the Tube anymore would be the day I celebrate"


La poursuite désespérée du succès a quelque chose d'énervant et triste à la fois. En règle générale, on voudrait frapper n'importe quelle personne qui se considère comme un génie et qui ne comprend pas pourquoi elle n'est pas encore devenue une superstar. Mais dans le cas de Lawrence, le talent dont il fait preuve pardonne à peu près tout. 

Lawrence Of Belgravia
un documentaire de Paul Kelly

Lawrence Hayward a fondé trois groupes géniaux dans sa vie : Felt dans les 80s (dont le sieur Basterra vous parlera bien mieux que moi), Denim la décennie suivante, et Go-Kart Mozart plus récemment.  Pourtant, l'engouement du public n'a jamais été à la hauteur de la qualité des morceaux de Lawrence et de son ambition. Seule une poignée de connaisseurs voient en lui le génie qu'il clame être. Il est et a toujours été dans l'ombre de l'underground.

Pour essayer de lui rendre justice, un documentaire a été fait à son sujet, Lawrence of Belgravia (Belgravia du nom du quartier de Londres où l'animal habite, et aussi pour le clin d'oeil à David Lean). Mais il est triste de constater qu'à la première française du film, à la Villette Sonique dimanche dernier, nous n'étions qu'une trentaine à s'être déplacés pour voir Lawrence himself et Paul Kelly le réalisateur.

L'idée de Lawrence of Belgravia est venue quand Paul Kelly l'a interviewé pour le documentaire qu'il réalisait à l'époque sur Londres : Finisterre (2002). Ce proche de Saint Etienne (son frère Martin est le boss d'Heavenly Recordings, le manager du groupe, et marié à la chanteuse Sarah Cracknell, Paul Kelly a lui-même rencontré sa femme en faisant une tournée avec Saint Etienne, lui en tant que guitariste, elle en tant que choriste), a tout de suite su voir en Lawrence un personnage fascinant à immortaliser sur pellicule. Ce dernier, qui tout petit s'imaginait déjà en héros de film, en se baladant dans un Birmingham désolé, a bien-sûr accepté l'offre, tout heureux d'être enfin le héros de quelque chose.


Le tournage n'a pas été si simple que cela. Paul Kelly a perdu à de nombreuses reprises Lawrence, qui voguait à droite à gauche chez des amis car à l'époque, il s'était fait virer de son appart et était plus ou moins SDF, ce qu'il se gardera bien d'avouer, évidemment. Il faudra huit ans pour que Lawrence of Belgravia voie le jour. 


L'intelligence de Paul Kelly, c'est d'avoir choisi de n'évoquer que très brièvement l'épopée Felt et Denim - seuls quelques plans montrent des flyers de concerts ou des pochettes d'albums - pour se concentrer sur le personnage et sur sa vie aujourd'hui. On suit donc pendant une heure Lawrence, arpentant les rues de Londres affublé de son éternelle casquette bleue à la visière translucide qui lui donne une allure aussi absurde que classe. On le voit peindre les murs de son nouvel appartement à Belgravia, donner un concert à la Flèche d'Or à Paris, gronder une petite fille en studio d'enregistrement parce qu'elle ne miaule pas comme il se souhaite, ou encore faire écouter un nouveau morceau sur un CD gravé au boss de son label, totalement déconcerté. 

Le documentaire donne des clefs pour mieux comprendre Lawrence, ou plutôt pour se rendre compte qu'on ne pourra jamais tout à fait le comprendre. Insaisissable, il apparait souvent comme un illustre connard, notamment dans ces scènes où l'on rit tout en plaignant les pauvres personnes qu'il malmène en interview. Dans l'une d'elles d'ailleurs, il s'étonne que le garçon tienne un site internet comme ça, juste pour la passion, sans gagner d'argent. Lawrence ne comprend pas cela. Pour lui, faire de la musique est indissociable de la volonté d'avoir du succès et de gagner de l'argent. Il avoue sans honte avoir accepté de perdre son meilleur ami, en lui demandant de jouer dans Felt avec lui. Il était évident que cela allait entacher leur amitié à jamais, mais ça valait le coup pour lui, si cela pouvait mener à la célébrité. Mais derrière cela, on voit aussi un Lawrence plus fragile, et nettement plus attachant. Des plans sur des papiers médicaux évoquent brièvement les troubles psychologiques et les problèmes de drogue, dont l'homme ne parle jamais. Une scène particulièrement désolante voit Lawrence aller dans un magasin de musique pour revendre une guitare collector de sa période Felt et où le vendeur l'arnaque complètement.

Mais Lawrence n'est jamais abattu. Il croira éternellement qu'un jour, sa gloire viendra. Quand il prend le métro pour faire ses courses, il pense au jour où il aura assez d'argent pour se permettre de ne plus utiliser l'Underground. Ce n'est malheureusement pas avec le prochain disque de Go-Kart Mozart, On The Hot Dog Streets (à paraître ce mois-ci), fantastique mais trop éxuberant pour plaire à un grand nombre, que le succès va arriver. Lawrence est une légende, mais personne ne le sait.