Stéphane Martin n'est pas une rock star. Parait même qu'il est nul avec les instruments. Pas grave, à la place il est programmateur du Chabada, la salle de concerts de musiques actuelles d'Angers, et il est bigrement intéressant en plus. Extraits d'un long entretien avec ce passionnant passionné (et puis comme ça, si vous avez des réclamations concernant la prog du Chabada, vous saurez qui engueuler).
(et pour les soirée pop française, on vous en dira plus en temps voulu, promis)
Qui es-tu et quel est ton rôle précis au Chabada ?
Alors, je suis Stéphane Martin... Je sors tout mon CV ou..? Je suis programmateur au Chabada, c'est à dire que je m'occupe de la programmation artistique. Donc je choisis ce que vous allez voir au Chabada à quatre-vingt... et quelques pour cent, François Delaunay le co-directeur s'occupant d'une partie de la programmation aussi parce qu'il aime bien ça. Et comme il a le bureau juste à côté du mien, on échange beaucoup sur le sujet. Voilà, évidement la programmation du Chabada est complétée par les producteurs privés et les associations. Mais ils m'amènent les projets et c'est moi qui décide si ça rentre dans la programmation du Chabada ou pas. Si on n'avait pas cette rigueur là, j'pense qu'on aurait vu des trucs dont on aurait un peu à rougir... Voilà. Parce que pour le public en fait, ça revient au Chabada. Ils s'en foutent les gens de savoir si c'est nous qui programmons, si c'est la société O Spectacles ou si c'est l'association l'Igloo qui le fait, tout le monde s'en fout, c'est au Chabada. Donc c'est l'image du Chabada, ça doit rester cohérent. C'est pour ça qu'on a pu refuser des groupes pour O Spectacles notamment, des artistes qui étaient un petit peu... plus variété que pop on va dire, voilà.
Comme qui ?
Dieu merci j'oublie ces artistes assez vite. C'est souvent des gens issus de la télé réalité, mais attention on en a vu ici, Olivia Ruiz en est une, par contre elle a bien réussi et sur la prochaine programmation on a Camélia Jordana qui se débrouile quand même pas trop mal... Mais parfois on n'a pas pu éviter un Steeve Estatof qui est donc un exemple de ce qu'on aurait pas dû faire, pas dû laisser faire en tout cas.
Ça n'a pas marché ?
Ah non c'était vraiment pas bien et il y avait personne.
Comment devient on programmateur du Chabada ?
Par hasard. Il y a pas de formation pour ce métier. Moi j'ai un parcours assez classique, j'ai une licence, des sciences du langage, qui donc n'a rien à voir avec ce que j'ai fait depuis... Mais en gros ça m'est tombé dessus en même temps que le bac, début des années 80. Je m'intéresse à la musique... Ben comme vous en fait... Les ondes se libèrent donc on fait de la radio, les fanzines commencent à apparaître donc qu'est ce qu'on fait ? Ben on fait un fanzine... En plus moi je suis pas très doué pour les instruments donc je me suis dit que je vais me rendre utile autrement. Après, on commence à organiser des concerts tout en étant étudiants. Et puis un jour tu te rends compte que tu achètes des disques mais que tu galères pour les trouver, tu te dis "Y a pas de disquaire à Angers, pourquoi on n'essaierait pas d'en faire ?" Sans aucune formation de gestion évidemment, moi avec mes études de lettres qui a du mal à faire une soustraction... On se lance là dedans, on monte un magasin de disques qui s'appelle Black & Noir qui a duré en gros une dizaine d'années à Angers. Et parallèlement je faisais de la radio, des fanzines, des organisations de concerts... Les affaires ne marchant pas très bien il faut l'avouer parce que le disque c'est pas très bien pour gagner sa vie et ça s'est pas arrangé au fil du temps, la place du programmateur au Chabada se libérant, je postule, je suis embauché, voilà comment on devient programmateur. Mais je crois que tous les programmateurs ont un parcours à peu près similaire, ils ont beaucoup bossé en associatif avant.
Ça va, c'est pas trop mal comme métier ?
Ouais, ça va. Non mais ce qui est surtout pas mal c'est de vivre de sa passion. Ça c'est le top du top. Je me pince encore souvent pour vérifier que je ne rêve pas. j'ai une chance inouïe, j'en suis absolument conscient. mais c'est aussi un métier avec ses contraintes, ses obligations... On fait pas ce qu'on veut quoi. C'est pas comme quand tu es disquaire, tu commandes un disque et il arrive. Là, quand tu cherches un artiste, tu le commandes pas il arrive pas. Et puis après tu commences à calculer son potentiel de public, les artistes que j'admire et qui sont absolument inconnus à Angers (je dis pas ça par snobisme du tout hein, c'est juste un état de fait) tu sais qu'ils vont pas faire grand monde, donc le prix du cachet, les machins et tout, tu perds trop de sous, tu peux pas le faire. Et il y a des choses que tu peux pas faire parce que la salle elle est trop petite, que tu peux pas faire parce que la salle elle est trop grande... Voilà, il y a plein de contraintes comme ça, tu navigues entre deux. Des fois on aimerait proposer tout ce qu'on veut mais on ne peut pas parce qu'on perd plein d'argent et on ne peut pas se le permettre. On est très liés au pognon évidement puisqu'on est dans un échange avec le public. Voilà, on ne fait pas ce qu'on veut, malgré l'impression qu'on peut donner. D'ailleurs, dans la mythologie du métier de la musique, le programmateur c'est un peu Dieu tout Puissant qui fait ce qui veut, qui ne programme que ce qu'il aime... Alors que c'est pas du tout ça. Et puis voilà, je suis programmateur dans une ville comme Angers, ça fait plus de contraintes. Mais en même temps ça m'excite de le faire à Angers, c'est ma ville, j'ai jamais voulu la quitter, j'ai toujours pensé qu'on pourrait y faire des choses. C'est pas parce qu'il ne s'y passe rien qu'il ne pourra rien s'y passer. C'était ma première motivation quand j'ai commencé à faire des trucs dans les années 80 et c'est toujours la même qui me guide aujourd'hui.
Ça va créer des vocations...
Oui voilà. Il y a des salles qui ouvrent tous les jours, et puis il va falloir remplacer les programmateurs un jour. Mais j'ai longtemps pensé que ça pouvait être une question d'âge, qu'au delà de quarante balais on était pas pertinent. Bon, j'en ai quarante-six aujourd'hui et je me trouve pas trop mauvais en programmation. Si il n'y avait personne au concerts, c'est que la programmation elle serait naze. Globalement il y a du monde aux concerts. Et même quand y a pas grand monde, les gens qui y sont sont content de ce qu'ils ont vu... Donc mes goûts sont pas trop mauvais, les groupes sont pas mauvais... Loin de là je pense. Moi je peux être mauvais, les artistes rarement. Si il y a des conneries à faire, je préfère que ça soit moi qui les fasse que les artistes. Si il n'y a personne devant l'artiste, ben c'est parce que j'aurais peut être pas dû le programmer, même si c'est un bon groupe, ou alors attendre qu'il ait un peu plus de notoriété. Donc l'erreur c'est moi qui la commets, jamais l'artiste.
Et le Chabada marche bien malgré la crise et les baisses de subventions ?
Non en fait, concrètement à ce qu'on pourrait croire, on n'a pas de subventions en moins. On est assez bien suivis, par la mairie principalement. Donc de ce côté là tout va plutôt pas mal. La crise, ben oui on s'en rend compte. Parce que le public est moins nombreux. Et le problème c'est qu'on les perd sur les groupes découvertes. De toutes les découvertes hein. C'est à dire que moi ce que je vais appeler un groupe découverte, le public va l'appeler un groupe inconnu. Donc un truc comme comme comme, qu'est ce que j'ai là sous les yeux ? (il regarde l'affiche du Chabada de la saison)... Bon bref, je vais pas m'inspirer de la programmation de la saison passée mais pour le public un groupe découverte c'est un groupe qui passe quand même en radio. Alors que pour nous, si il passe en radio, c'est plus une découverte. Et le public ne se déplace plus pour les découvertes, même quand ils les entendent à la radio. Parce que maintenant on essaie de faire super gaffe de programmer des artistes qui ont au moins un passage radio... Bon pas forcément sur NRJ, Dieu merci, mais au moins Nova ou Inter qui sont les premières radios qui font le travail de défrichage. Alors déjà c'était pas facile avant la crise, enfin, avant la nouvelle crise, puisque ça fait quand même depuis 73 qu'on est en crise, il faut pas le perdre de vue, mais celle-ci étant un peu plus violente, les gens viennent moins. Et puis ils préfèrent voir un spectacle qu'ils connaissent à peu près pour être sûrs de ne pas être déçus et de passer un bon moment. Donc c'est chiant, c'est emmerdant, mais voilà quoi... A nous de nous arranger. A l'avenir, peut être qu'on va faire un petit peu moins de concerts, passer de 50 à entre 45 et 50. En plus les coûts des concerts augmentent. Mais c'est intéressant d'être dans cette adversité là. Le premier truc qui m'intéresse c'est de faire se rencontrer un artiste et un public. Si y a personne l'artiste va tirer la gueule, le public va pas s'amuser parce qu'ils vont pas être assez nombreux et parce que l'artiste va tirer la gueule... Je l'ai vu une fois faire. Un groupe, non deux groupes qui devant pratiquement personne ont fait un concert comme si il y avait eu 500 personnes. C'était les Infadels, un groupe anglais pop qui sort un nouvel album dans pas très longtemps et Mouss et Hakim, les deux ex-Zebda que j'ai vu dans le club faire un concert mais monumental quoi ! Et les Infadels tout pareil. Mais c'est extrêmement rare. je dis souvent : quand artiste content, quand public content, moi content. Voilà. Après la thune, on gérera plus tard. C'est pas négligeable, mais pas premier non plus. Mais ça oblige à se triturer les méninges, j'aime bien ça. C'est un métier où il y a pas vraiment de routine, les musiques et les artistes sont jamais les mêmes. C'est assez drôle et excitant. Et puis on peut toujours inventer des petites conneries, des p'tits machins, des p'tits subterfuges, et j'adore ça.
Comme quoi ?
Je sais pas (rires) Une com' différente, des petits gadgets auquel tu penses de temps en temps. Je m'en rappelle, pour le concert de l'an dernier, c'est rien hein, c'est infime. Quand on a fait le concert de Seconde Chambre l'an dernier, ce groupe d'Angers qui avait arrêté de jouer depuis dix ans et qui pour moi a marqué l'histoire musicale d'Angers décide de revenir pour faire une seule date. J'ai eu l'idée de faire un badge. Un badge Seconde Chambre avec la date du concert dessus. Du coup ça servait à la fois de com' et de souvenir. En plus d'avoir rendu service à Seconde Chambre ça m'a vachement plu aussi. J'aime bien rendre service aux groupes. Pour les émotions qu'ils m'ont données, ça me parait la moindre des choses. Moi je facilite les concerts, toi tu vas faire des retours et des interviews. Moi je pense que c'est un peu pareil, l'émotion qu'on t'a donnée tu la rends et la fait partager à d'autres. J'aime bien ce truc généreux en fait. C'est super prétentieux de dire ça. Pour moi en tout cas. Mais bon, comme je parlais de ton travail, je me disais que c'était plutôt à toi. Donc je trouve ça généreux de faire des fanzines, de s'engager là-dedans pour que dalle en plus, je trouve ça bien. Mais comme j'ai le même parcours que toi, forcément c'est pas modeste de ma part. Mais n'empêche que voilà, j'aime bien et ce que tu fais je trouve ça vachement intéressant aussi, de renvoyer le truc. C'est important.
La programmation de la saison prochaine, elle sera comment ?
Ben éclectique. Parce que, comme tout programmateur d'ailleurs, je ne peux pas la concevoir autrement. Ça sort quand ton article ? Ça va à peu près correspondre à certaines mises en vente. Alors... On va favoriser la pop. D'ailleurs vous serez associés à ça camarades de TEA, à la rentrée prochaine. Donc on va faire découvrir huit groupes de pop de la nouvelle scène française sur deux dates. Donc il y aura You!, Fortune, Popopopops, Misty Socks, Djak, Elefanz, Wankin Noodles et Quadricolor. Y aura aussi Karimouche qui va venir dans un esprit un peu plus chanson, donc là on aura aussi un autre plateau avec des jeunes pousses de la chanson française. Y a Sexion D'Assaut en hip hop. Y a un groupe local de chanson qui s'appelle Henri Léon et les autres qui vient en concert ici avec carte blanche donc il a choisi la première partie. Y a Aaron, c'est déjà en vente. Y aura une soirée FTW donc Gymtonic, on est en train de bosser la programmation avec Anthony. En pop y aura Tunng. Là je viens de booker OK GO, normalement on attend la confirmation, je suis super content. y aura Eiffel, Camélia Jordana, y aura les Pony Pony qui reviennent encore. Donc voilà les nouvelles. J'attends des trucs, c'est pas fini encore.
(et pour les soirée pop française, on vous en dira plus en temps voulu, promis)