En envoyant une demande d'interview à Geneva Jacuzzi, je n'imaginais pas que j'allais finir par danser sur une flight case enroulée dans de l'essuie-mains devant deux cent personnes.
Geneva Jacuzzi est ce que l'on fait de mieux en ce moment en matière de synth pop influencée 80s. J'ai écouté plus que de raison son album Lamaze, sorti en 2010. et je pense sincèrement que "Love Caboose" et "Do I Sad?" sont de gros tubes cruellement ignorés.
Quand j'ai appris que c'était la Californienne qui ferait la première partie d'Ariel Pink (son ex, ou son mec, peu importe) à Anvers le 12 novembre, je n'ai pas hésité super longtemps. Je lui ai envoyé un mail pour savoir si je pouvais l'interviewer. En retour, j'ai eu droit à une réponse plutôt mystérieuse où elle me demandait si je ne pouvais pas lui rendre un service. Elle cherchait des gens pour lui construire un décor et monter sur scène avec elle, "c'est très facile et rapide". Je ne connais personne à Anvers mais j'ai motivé trois potes de Bruxelles à faire le déplacement.
"Putain, on fait quoi ?"
Le jour-même, nous sommes arrivés super en retard à la salle TRIX, parce que les tramways de la ville de Bart De Wever sont vraiment nazes. Jeanine, Alphonse, Théophane et moi (j'ai changé les noms, parce que j'avais envie) avons été accueillis par une Geneva pleine de joie. Elle s'était teinte en blonde, ce qui lui va vachement moins bien, mais bon, elle conserve son charisme. On a tout de suite commencé à réfléchir à ce qu'on allait faire pour le concert. Il était 17h30, Geneva Jacuzzi jouait dans seulement trois heures et nous n'avions aucune idée de ce que nous allions faire. On a d'abord regardé la salle. La scène était super grande et le matériel d'Ariel Pink était déjà installé, alors Geneva a décidé qu'on jouerait par terre, sur le côté gauche, et a commencé à virer toutes les barrières qu'il y avait.
Ensuite, on lui a montré ce qu'Alphonse et Jeanine avaient apporté au cas où : des plaques de verre, des seringues, de la peinture fluo, de l'adhésif blanc, un pull moulant col roulé jaune poussin. A ce stade, on était tous assis à se dire "putain, on fait quoi ?". Sauf Geneva qui était super enthousiaste et riait très fort. On lui a aussi dit que les garçons avaient leurs skates. Elle s'est exclamée qu'il fallait absolument qu'ils tournent autour d'elle, parce qu'elle est une grande fan de Devo et de leur clip "Freedom Of Choice". Les mecs n'étaient pas trop chauds pour tourner en continu dans un espace minuscule, mais trop tard, Geneva avait vu les planches, elle voulait les planches.
A partir de là, on a fait une sorte de brainstorming autour de l'idée de cycle, de ce qui tourne, etc, histoire de trouver un concept. Geneva parlait de prise mâle et de prise femelle, c'était chelou. J'aimerais bien savoir tout ce qu'il se passe dans sa tête en l'espace d'une seconde. Je ne sais pas trop comment Jeanine a pensé à la cassette audio, mais c'est l'idée qui nous a lancés. "Oui ! On va construire une cassette humaine !" a fait Geneva. Elle est partie aux chiottes et en est ressortie victorieuse avec des bandes de tissu essuie-mains. Ça allait faire la bande magnétique. Puis la pile électrique a dit qu'elle devait aller se préparer, mais qu'en attendant on pouvait s'occuper de la scénographie... "Putain on fait quoi ?"
On a décidé que Jeanine et moi ferions la cassette, ou plutôt les deux axes de rotation sur lesquels s'enroulerait la bande de tissu. Quand l'une tournerait dans un sens, l'autre irait dans l'autre et ainsi la bande passerait de Jeanine à moi, et inversement. Ça marchait très bien pendant les entraînements en tout cas. J'ai fait un schéma pour que vous essayiez de comprendre. Il va vous falloir beaucoup d'imagination pour capter ce qu'on a fait ce soir là.
Le problème, c'est que les gars ne savaient pas quoi faire. Ils n'allaient sérieusement pas skater en rond pendant les trente minutes du set. Il était 19h et le stress commençait légèrement à se faire sentir. Finalement Alphonse a eu la bonne idée de faire le bouton qui enclencherait la cassette. On a demandé au cuisinier trop cool de TRIX de nous filer des sacs poubelles géants. Ils allaient jusqu'au pied des mecs. On a mis du scotch blanc sur chacun d'eux afin de représenter les symboles "play" et "rewind", comme ceci :
Vu que le concert se passerait par terre, on a disposé une table devant au milieu pour que Geneva se mette dessus, et deux flight cases au fond qui surélèveraient Jeanine et moi d'un bon mètre. Voilà groso merdo la configuration de la scène :
L'heure du concert est arrivée super vite. Geneva a donné des lampes frontales aux gars, et nous a fait mettre du blanc sur tout notre visage. Elle aime bien les mimes, Geneva. On a essayé tous les cinq de réfléchir au déroulement du concert, mais on n'a pas trop eu le temps, et la chanteuse nous a dit qu'elle adorait quand ce n'était pas trop prévu, quand l'improvisation donnait lieu à du grand n'importe quoi. Alors là, elle allait être servie.
Le concert
On a tous pris notre place sur scène. Les rideaux étaient encore fermés. Comme nous n'étions pas du tout organisés, on était assez énervés. En plus Théophane faisait la gueule parce qu'il ne voulait pas aller sur scène. Il avait dit que s'il avait su, il serait resté chez lui. Il flippait pas mal, et aucun de nous ne faisait vraiment le malin quand la musique s'est lancée, à part Geneva, évidemment.
On récapitule : Jeanine et moi au fond de la scène, enroulées dans de l'essuie main, nous restons immobiles face au public pour les premières chansons. Geneva sur sa table au milieu. Bien, c'est parti. Au signal, Alphonse et Théophane ouvrent les rideaux et on se retrouve devant 200 personnes. J'exagère peut être un peu, mais il y en avait quand même beaucoup. Les gars montent sur leur skate et tournent autour de Geneva, ils l'enroulent d'une guirlande électrique tandis qu'elle chante ses morceaux les plus bizarres. N'oubliez pas que les mecs sont affublés de leurs sacs poubelle géants, ce qui fait qu'on voit à peine leurs pieds et qu'on dirait qu'ils flottent. D'où je suis, ça rend hyper bien. C'est une des choses les drôles que j'ai vues de ma vie. Avec Jeanine, on a beaucoup de mal à rester graves, surtout quand Alphonse se ramasse. Le public ne capte rien, il y en a beaucoup qui rigolent.
Puis "Clothes On The Bed" sort de l'iTunes (oui, iTunes) et les gars lâchent leurs skates et se postent à trente centimètres du premier rang, côté "play". Je commence à tourner dans un sens, Jeanine dans l'autre. La bande qui me comprimait la poitrine s'enroule sur ma pote. La human tape est en marche. Les gars se retournent, on change le sens de notre rotation. Ça donne le tournis et le vertige.
Et puis ça devient n'importe quoi. Les mecs changent tout le temps de côté, on ne peut plus suivre leurs ordres et on en a marre de tourner alors on fait des mouvements de danse ridicules pendant que les autres ne savent plus quoi faire et restent plantés comme des poteaux. Geneva fait des mouvements étranges et un rire de sorcière, elle est un peu folle je crois. Je pense que nous sommes tous les cinq la définition des mots weird et awkward. Geneva descend pour bousculer Théophane et Alphonse. Jeanine et moi recommençons à tourner, encore et encore.
Au final, les trente minutes passent assez vite. Le public applaudit. Je crois qu'il a quand même un peu aimé. Geneva nous félicite, elle crie qu'elle a "a-do-ré" et qu'on était trop amazing. Je n'irai pas jusque là, mais on s'est quand même bien marré. En lisant les journaux flamands le lendemain, je vois que certains nous ont traité de minettes, tandis que d'autres ont cru que nous étions un quintet. Non, nous avons seulement été les performers de Geneva Jacuzzi le temps d'un concert, et c'était aussi improbable que génial.